21 mai 2017
SÉCURITÉ AVANT TOUT
Au-delà des discussions habituelles sur les films, le grand sujet de préoccupation des journalistes c’est l’énorme renforcement des mesures de sécurité. En fait, on a maintenant l’impression d’arriver dans un aéroport. Il y a la grande cabine à travers laquelle il faut passer. Il y a les plateaux pour mettre nos pièces métalliques (clés, montre, objets qui vibrent, jusqu’aux bijoux et autres). Et il y a ensuite des fouilleuses professionnelles pour s’assurer qu’il n’y a rien de dangereux dans nos sacs. Conséquence : pour la première fois dans l’histoire du Festival de Cannes il y a eu un retard de 15 minutes pour la projection du matin du film de Todd Haynes, Wonderstruck. Le soir, il a fallu attendre 10 minutes avant le début de Jupiter’s Moone, du cinéaste hongrois Kornel Mundruczo. Sans parler du temps d’attente pour la présentation d’Okja, de Boog Joon-ho, dû à un problème de réglage du cadrage. En quelques sorte, on a constaté que l’édition 2017 était celle la plus mal organisée depuis longtemps. Mais soyons indulgents : ne faut-il pas tenir compte de la menace terroriste qui pèse encore sur l’Hexagone ?
NETFLIX FAIT LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS
La présence dans la programmation de deux productions de Netflix, le géant du cinéma payant pour la télévision prouve que Cannes tient à s’ouvrir aux nouvelles technologies, prenant le risque de perdre quelques plumes ; en effet, un communiqué de la haute direction indiquait qu’à l’avenir, tout film présenté à Cannes devra avoir, au préalable, une sortie en salle de cinéma. Les cinéphiles ont réagi.
Lors de la présentation d’Okja, le logo NETFLIX apparaît en grosses lettres dans l’image et s’echaîne alors un mélange de huées bien justifiées et d’applaudissements partisans. Il n’est guère surprenant que Pedro Almodóvar, président du Jury officiel ait pris parti contre cet étrange intrus à Cannes. À son avis, et bien d’autres du milieu partagent la même opinion, il faut se battre pour que les gens voient des films sur Grand Écran. Okja a coûté 50 millions de dollars à produire, a été filmé en 6K et, tenez-vous bien, ne verra jamais le jour en salle. Idem pour The Meyerowitz Stories, de Noah Baumbach ; mais ici, les champions des algorithmes qui analysent tout ont misé sur Adam Sandler, car après tout, c’est lui qui jusitifie le film et non pas le réalisateur.
MALGRÉ TOUT, LE CINÉMA-ÉCRAN N’EST PAS ENCORE MORT
Mais fidèle à sa tradition, Cannes présente encore tout ce qui se fait de mieux dans la planète-cinéma. Depuis 70 ans, il tient quand même la route, même si nous avons connue quelques déceptions. Pensons aux deux films d’ouverture : celui d’Arnaud Desplechin (Les fantômes d’Ismaël), ou celui de Mathieu Amalric (Barbara). Le premier, très inégal, s’embourbe dans des propos discordants ; Le second n’est qu’un prétexte à illustrer en images le milieu des artistes, comme Amalric l’avait fait il y a quelque temps avec Tournée. Mais la palme de la déception demeure sans aucun doute le documentaire de Vanessa Redgrave, Sea and Sorrows. Magnifique comédienne, femme qui a toujours manifesté ses opinions politiques, elle a décidé pour la première fois de passer derrière la caméra. Cela donne un documentaire trop redondant, voire simpliste.
Du côté des bonnes (re)trouvailles il y a le film d’Andrey Zvyagintsev, Faute d’amour / Nelyubov. Comme dans Elena et surtout Leviathan, le cinéaste russe brosse le portrait d’un microscosme, emblématique de toute une société russe qui ne sait pas s’occuper de ses enfants. On a bien rigolé avec le film du cinéaste Ruben Ostlund, The Square, plein de suprises, un brin surréaliste, mais également peinture d’une réalité suédoise moderne en perte de valeurs. Il y a tout de même des moments exceptionnels dans ce film, mais sans doute, un peu trop long avec ses 2 h 22 de projection.
Robin Campillo présentait 120 battements par minute. On retrouve le groupe ACT UP de Paris au moment de sa naissance et de ses luttes pour que l’ensemble des sidatiques puissent avoir les médicaments essentiels à leur survie. Un film utile et beau. Ce sujet a déjà été abordé, mais on y injecte une histoire d’amour et d’amitié entre deux hommes qui est fait l’élement touchant du film.
Dans la catégorie « Un certain regard », nous avons pu découvrir deux beaux films : une coproduction germano-bulgare, Western, véritable conflit entre deux cultures exprimé cinématographiquement de façon intelligente. Et puis, Lerd, le film iranien Mohammad Rasoulof, sur le rôle occulte mais tellement réel de la maffia locale.
Cannes continue donc sa mission : découvir de nouveaux cinéates tout en permettant à des vétérans de voir leurs films circuler sur la planète-cinéma. Chose étrange, mais qui confirme que le cinéma, y compris les festivals, a besoin de liquidité ; Cannes a également besoin de visibilité. Ses commanditaires l’exigent. Mais côté artistique, les organisateurs font tout en leur pouvoir pour maintenir le statut de plus Grand festival au monde. Puisque derrière la mémoire du Festival de Cannes, repose l’idée qu’on se fait du cinéma en France, berceau du 7e art.
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