12 mai 2017
Le 50e anniversaire de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) complète sa saison 2016-2017 avec Niemandslandhymen, création de Sandeep Bhagwati. De son Inde mystique, en passant par une Europe protectrice d’une musique contemporaine bien ancrée dans la tradition, tout en passant par le Québec, dont la réputation de la SMCQ n’est plus à faire, l’homme de musique a bien voulu nous accorder une entrevue.
Sandeep Bhagwati, pouvez-vous tracer votre parcours musical.
Je suis né en Inde, de mère allemande et de père indien. Et dès l’âge de six ans, on a fait souvent des allers-retour entre l’Inde et l’Allemagne. J’ai étudié la musique dans plusieurs institutions dédiées à cette discipline un peu partout en Europe. Très tôt, j’ai opté pour la musique contemporaine. Après mes études, j’ai travaillé comme chef d’orchestre et comme compositeur. J’ai également fondé plusieurs festivals de musique contemporaine en Allemagne. Au fur et à mesure, je me suis bâtie une carrière qui continue jusqu’à aujourd’hui. En 2006, je me suis intallé au Québec où j’ai été titulaire d’une chaire de recherche en arts inter-x, à l’Université Concordia, c’est-à-dire inter-culturels, inter-disciplinaires. J’ai toujours été intéressé par les moyens d’expession pluriels.
Dans un sens, et positivement, vous êtes le produit d’une mondialisation culturelle.
Effectivement, je prends comme exemple, une de mes créations montrées à Berlin, Neither Here, Nor There (Ni ici, ni ailleurs), faisant foi du bien fondé de ma pensée ; par extension, on pourrait aussi traduire par « ni le théâtre, ni la musique », une sorte d’heureux mélange de divers moyens d’expression. En 2010, j’ai été nommé membre de la SMCQ (Société de musique contemporaine du Québec). Ce qui veut également dire qu’au sein de la Société, nous avons des contacts nationaux et internationaux, d’où ces échanges en matière de nouvelle musique. En fait, il s’agit d’une discipline musicale qui n’est pas très connue, et pourtant elle comprend de nombreuses qualités sonores émanant de plusieurs cultures.
Si la musique pop a réussi à se solidifier malgré le passage du temps grâce à l’imtemporalité de certains de leurs représentants, la musique classique et la contemporaine demeure toujours intactes, impossibles à détrôner.
Il y a deux réponses à votre intervention. Tout d’abord, il s’agit d’une perspective historique. Si on parle, par exemple, de Mozart ou encore de Beethoven, il n’y avait qu’une infime partie de la population qui les écoutait de leur vivant. Ils ont acquis une certain popularité après leur mort. Le succès se fait à travers le temps, à travers les siècles. L’élite musicale n’est sans doute pas économiquement populaire, mais elle l’est intellectuellement, dans le domaine de la pensée. On pourrait tracer un parallèle avec la poésie, « qui lit la poésie de nos jours ? ». Pourtant, elle existe et il est impossible de l’arrêter parce qu’elle fait partie d’une dynamique de création perpétuelle. C’est dans chaque société, dans chaque culture, dans chaque pays. C’est en fait, un désir profond qui ne peut être freiné.
Sans doute pour transcender le réel, le quotidien, la banalité du monde.
Effectivement. Et ce n’est pas par esprit de provocation, mais dans le but d’aller au-delà des choses qu’on connaît déjà ; pour les transformer, les déconstruire, pour rendre l’expérience de vie plus passionnante. Et aujourd’hui, avec tous ces mouvements populistes qui émergent un peu partout dans le monde, la création se heurte souvent à des obstacles. Mais elle ne s’arrête pas pour autant. D’une certaine façon, le populisme abroge le droit humain à l’exploration, à la dissidence, à la réflexion. Et c’est d’autant plus dangereux qu’il s’attaque aussi aux sciences, à la politique, aux études supérieurs et aux arts non populaires. Et c’est pour cette raison que l’art, y compris la musique alternative, évolue de nos jours dans des conditions restreintes. Résister à cette pression est un acte politique.
Ce qui nous conduit à Niemandslandenhymnen.
Oui, en effet. Un hymne à un no man’s land. Car il s’agit d’une sorte de fête. D’une part, pour fêter le 50e saison de la Société de musique contemporaine du Québec, mais aussi de contribuer à la reconnaissance d’une musique autre, qui, cette année, est une exploration des thèmes dominant chez les êtres humains, tous issus d’une même planète.
Mais dans le titre, n’y a-t-il pas également un hommage personnel à vos racines multiples ?
Certainement. On fait, mes racines sont multipliées par trois, puisque je suis maintenant au Québec. L’Amérique du Nord, l’Europe et l’Inde. Cette réalité dans ma vie est celle que partagent plusieurs personnes à travers le monde. Ces immigrants, ces migrants venus d’ailleurs pour, la plupart, des raisons politiques, conflictuelles, apportent avec eux un bagage qui ne peut être réprimé. En quelque sorte, on devient citoyen du monde, tout en restant attaché à sa propre culture.
Mais dans votre démarche, il y a aussi un positionnement politique qui ne peut échapper au spectateur.
Bien entendu. Car en s’installant dans un nouveau lieu du monde, nous sommes confrontés malgré tout à une société différente qui n’a d’autre choix, comme partout dans le monde, que de défendre ses acquis. Pour trouver son chemin, il faut faire preuve non seulement de connaissances dans telle ou telle discipline de la vie, mais également attendre avant de recevoir une certaine reconnaissance. Certains y arrivent rapidement, d’autres plus tard, et il y en d’autres qui ne l’auront jamais. Dans un sens, l’hymne que je propose parle en filigrane de cette question à travers les diverses modalités sonores, autant dans la musique que dans les voix. Mais dans un sens, les communautarismes et les nationalismes sont des phénomènes explicables qui ne viennent pas par hasard. Ils sont issus d’une relation entre le peuple et l’oppressant ? Mais il y a également au Québec, une extrême ouverture à l’autre qui se manifeste par un esprit de curiosité, de connaître plus, une vraie communauté du savoir, notamment ici, à Montréal.
On s’attend alors à un spectacle musical de tous les possibles.
Je suis partisan de suivre le flottement « dans l’idée du flottement », comme pour unir et non diviser. Le spectacle pourrait s’appeler pour ainsi dire « La république du monde ».
Niemandslanhymnen – Le jeudi 18 mai / 19 h / Usine C.
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