15 juin 2017
Pourquoi le cinéma populaire s’obstine-t-il à revoir les récits de la Deuxième Grande Guerre? Cette période riche peut plaire aux producteurs, car elle est remplie de récits sur le triomphe de notre système sur le « mal ».
Un Sac de billes est évidemment un film de la branche « commerciale » du cinéma. Tous les critères approfondis par le classicisme hollywoodien sont respectés. La mise en scène est un copiage presque littéral de celle de Steven Spielberg. Duguay utilise parfois une caméra épaule maladroite (qu’il porte lui-même d’ailleurs) pour s’approcher de ses personnages. Il préfère toutefois des angles de vues calculés qui suscitent une «identification aux personnages » chère au cinéma commercial. De plus, les images font étrangement penser aux films de la saga Harry Potter. Par exemple, le train traversant un pont semble être le Poudlard Express. Le mouvement de caméra et la lumière sont parfaitement identiques au plan orchestré par Alfonso Cuarón. Outre, ces plagiats, Duguay «utilise» la musique pour remonter autant que possible les émotions. Elle nous exige de pleurer, de rire, d’avoir peur quand souvent la mise en scène et le jeu y arrivent déjà. Cette stratégie trahit une incertitude de la réalisation quant à l’ «efficacité» des scènes. Évidemment, on ne peut pas échapper aux ralentis qui sont utilisés de façon scolaire. Dans tous les cas, l’esthétique redondante du classicisme est maître. Les acteurs-trices s’affairent d’un jeu naturaliste relativement réussi, sans plus. Qui plus est, la distribution est envahie par les hommes où les femmes sont apolitisée, reléguées à la tâche d’aimer et chérir sans plus.
Du côté idéologique, le film présente, comme La Liste de Schindler, mais avec moins de subtilité, le triomphe des valeurs bourgeoises sur le fascisme. Ainsi, la Résistance française est traduite par les actions du petit garçon en cavale. Ce dernier apprendra les balbutiements du self-made-man et l’esprit de commerce menant à une solidarité et à une camaraderie surprenamment exemplaire. Ainsi le pouvoir de la résistance du peuple (démocratie) et le marché libre (liberté) sont les valeurs qui abattent l’ordre social hiérarchique et planifié du fascisme criminel. D’ailleurs, Duguay ne met jamais en scène les plus pauvres victimes de l’invasion. Seulement les commerçants, les prêtres, les «éduqués», etc. ont une place dans ce récit ; pas de juifs sans ressources de la classe inférieure. C’est plus injuste pour la bourgeoisie.
Il y a toutefois une scène qui raconte un événement en marge de l’Histoire. Celle-ci aurait pu nuancer le message porté par la bourgeoisie, mais elle n’est pas complètement assumée narrativement. De nombreux Français ont approuvé et nourri le régime de Pétain et ces «collabos» sont alors humiliés par la Résistance. Des femmes sont rasées, d’autres sont battus, tatoués par la croix gammée. Ces violences en arrière-plan servent plutôt ici à faire sortir les valeurs de tolérance naïve acquise par la camaraderie du gamin.
Cet événement rend les récits de l’Occident sur la Deuxième Guerre mondiale bien plus nuancés. Ainsi, l’idéologie nazie parfaitement criminelle est remplacée ou plutôt rétablie par les forces bourgeoises qui utilisent certains éléments du régime oppresseur : l’exclusion, la violence et la propagande. Les démocraties post-Grandes-Guerres garderont l’héritage nationaliste des nazis et leur façon de faire de la communication politique. Le clivage racial est remplacé par un clivage économique moins violent et la communication reste intacte par l’utilisation massive des médias, les discours haineux d’exclusion et l’importance capitale de la communication.
Duguay est bien loin de l’intelligence du Fils de Saul. Il préfère mettre en scène un film qui sans doute sera passé dans les écoles primaires de l’Occident pour montrer ce qu’est l’injustice et à quel point le système triomphant de la Deuxième Grande Guerre est vertueux. On oublie, évidemment les pauvres, les femmes qui ont d’ailleurs joué un rôle clé dans la Résistance, les victoires essentielles des Soviétiques (seulement les Américains sont mentionnés en libérateurs); la place sera plutôt aux privilégiés de ce monde. En somme, le cinéma commercial a sorti un autre excellent film… de propagande.
Genre : Drame – Origine : Canada / France – Année : 2017 – Durée : 1 h 53 – Réal. : Christian Duguay – Int. : Dorian Le Clech, Batyste Fleurial, Patrick Bruel, Elsa Zylberstein, Bernanrd Campan, Kev Adams – Dist. : Les Films Séville.
Horaires
@ Cinéma Beaubien – Cineplex
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
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