29 avril 2018
Une plume géométrique et essentielle, jonglant avec la langue française comme si chaque mot était nouveau, à découvrir, et les plus simples, les plus rébarbatifs, que la dramaturge-comédienne Evelyne de la Chenelière rend aussi puissants qu’engageants. D’emblée, La vie utile est une pièce sur les mots, sur leur importance dans notre ADN, car ils font partie de notre existence, sans qui le rapport à l’autre peut sembler inexistant.
Et les silences, eux aussi, parlent, mais dans une langue autre, un dialecte singulier rendu admirablement bien par la mise en scène captivante de Marie Brassard, cérémoniale et magnifiquement surréaliste, garante d’une plastique scénique naviguant entre le rêve et la réalité, entre le clair et le diaphane. Plus proche du songe, en fait, plaçant le spectateur dans une zone d’inconfort majestueux qui lui donne la sensation de se retrouver dans un navire en pleine tempête, alors que dans ce jardin de l’Éden faussement écologique, la sérénité calme n’est que pure illusion.
La dramaturge parle de la vie, de la religion, de nos rapports humains, de ces moments de douce folie et de rage qui constituent notre existence. Elle parle de la famille et de la foi. Mais selon une approche chrétienne, forte de ses racines catholiques qu’elle connaît à fond. Après tout, elle parle de son héritage.
Elle l’admire parce qu’il la bouleverse, mais consciente des changements dans un pays toujours en devenir, De la Chenelière cède à la tentation de s’approcher de l’autre. Dieu? Le père? La mort? Cette entité s’exprime en anglais. Elle lui répond en français; le dialogue de sourds auquel nous sommes habitués devient ainsi une possibilité de bâtir quelque chose de commun. Peut-être. Encore une fois, peut-être!
Soudain, revirement de la situation, où les portes se ferment pour se réouvrir. Et des dialogues ou monologues impitoyables, comme cette entrée en matière : l’actrice, droite, seule devant l’assistance, offre un moment de pure anthologie. Dans la salle, on sent la chair de poule nous envahir. Dès lors, on sait aussi que la suite sera inspirée.
Pari gagné. Dans ce discours qui sort des tripes sur l’engagement moral, un personnage, celui de la Pucelle de Rouen, Jeanne l’Amazone, la Guerrière de Dieu, féministe de son temps. Pour celles qui signent ici une des plus belles propositions de l’année, une possibilité de situer le discours intellectuel dans des sphères qui dépassent l’entendement, de jongler avec la forme, sommant le spectateur de devenir complice d’un acte théâtral qui outrepasse l’imagination.
Marie Brassard signe une mise en scène d’une originalité exemplaire, fortement émue par le texte puissant d’une femme de théâtre surprenante, intentionnellement à l’abandon. Comme un sacrifice offert aux Cieux.
Texte : Evelyne de la Chenelière – mise en scène : Marie Brassard – assistance à la mise en scène : Emanuelle Kirouac – scénographie : Antonin Sorel, assisté de Alex Hercule Desjardins, également aux accessoires – éclairages : Sonoyo Nishiwawa – musique / conception sonore : Jonathan Parent – costumes : UNTTLD (José Manuel St-Jacques, Simon Bélanger) – vidéo : Karl Lemieux – distribution : Christine Beaulieu, Sophie Cadieux, Evelyne de la Chenelière, Luis Negin, Jules Roy Sicotte – production : Espace Go / Festival TransAmérique (FTA), Infrarouge.
Durée
1 h 30 (sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 1er juin 2018
Espace Go.
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
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