14 juin 2018
S’entretenir avec Danae Elon, c’est comme discuter avec n’importe quel artiste de confession juive, orthodoxe ou laïc, ou mieux encore, aller d’un sujet à l’autre en sachant très bien comment on a débuté la conversation. En quelque sorte, passer du coq à l’âne sans qu’on nous fasse des remarques et avoir l’intelligence de reprendre le propos initial. C’est ainsi que Danae Elon me confirme qu’elle a réalisé un nouveau documentaire (A Sister’s Song) dont on vous parlera sans doute plus tard. Mais revenons à cette Chambre du patriarche.
Pourquoi cet intérêt pour l’orthodoxie grecque ?
En fait, je n’ai réalisé que les personnages principaux partageaient en quelque sorte cette croyance que lorsque j’ai décidé de plonger, tête première, à mesure que je rédigeais le scénario.
D’où la cohérence du propos. À Jérusalem, l’Église orthodoxe grecque possède un tiers du terrain de la ville. Cela n’oblige-t-il pas à repenser le statut de ce lieu particulier ?
Effectivement, d’autant plus que les trois religions monothéistes sont représentées. Ville internationale ? Ville juive ? Ville israélienne et palestinienne ? C’est dans ce contexte que la religion rentre en ligne compte dans le conflit israélo-palestinien et qu’il n’est pas uniquement territorial et politique. Pendant de nombreuses années, l’ancien maire libéral de Jérusalem, Teddy Kolek, par le biais symbolique de la Jerusalem Foundation, a essayé de penser un scénario selon lequel la ville serait un territoire international, empêchant ainsi tout intérêt nationaliste de parts et d’autres. En ce qui a trait aux prêtres orthodoxes grecs, leur présence au Saint-Sépulcre de la ville est quelque chose que je n’ai jamais compris, jusqu’à la réalisation de La chambre du patriarche. En fait, en commençant mon documentaire, l’idée était de savoir ce qui arriverait de la ville « sainte » si elle tombait entre les mains de groupes religieux messianiniques. J’ai commencé mon enquête sur ce thème, mais elle ne m’a pas menée bien loin. Faire un film sur cette vieille ville et entamer des recherches sur l’immobiler et la religion n’était pas tâche facile, notamment lorsqu’on vous empêche d’aller plus loin. Un vraie boîte de Pandore. Et puis, sans donner trop de détails, je découvre le père Irineos, prêtre grec regardant par sa petite fenêtre, qui ressemble plus à une lucarne de cachot. Et puis, une rencontre avec l’ancier trésorier de l’endroit qui me fait découvrir tout un monde que je ne connaissais pas et que sans doute la majorité des gens ne connaissent pas.
Donc, La chambre du patriarche est surtout l’enquête dans un lieu interdit que vous avez réussi à pénétrer grâce à votre détermination.
Oui, c’est une façon de voir les choses. Donc, lorsque mon tournage me mène dans cet endroit précis, je découvre un autre univers que je ne croyais pas, existait, un univers particulier qui remet en question le statut de Jérusalem, ville convoitée et l’importance qu’elle détient pour ceux qui veulent la posséder.
Néanmoins, à travers votre enquête, vous dépasser le cas Irineos pour parler de la ville, des intérêts sociaux, économiques et politiques qui s’y rattachent. C’est une stratégie de mise en scène remarquable qui vous permet, en quelque sorte, de retourner à votre projet initial.
Probablement, car il s’agissait aussi de non seulement comprendre le mode de pensée de cet endroit, mais, essayer d’y pénétrer, tout en préservant ma propre intégralité. Tâche difficile mais non pour le mieux intellectuellement stimulante et attrayante. Comment voient-ils le mond ?, Quelles sont leurs valeurs sur la religion et l’humanité.
Le séculier (votre présence et celle de la caméra) et le confessionnel (ramparts de l’Église) arrivent tout de même à s’amadouer, parfois laissant tomber certains tabous pour permettre à l’individu de se prononcer.
Oui, c’est bien cela et ça se manifeste à mesure que le film avance dans le temps. Mais tâche parfois ingrate pour traduire cela en images concrètes ; je dois avouer que les représentants de l’Église, consciemment ou pas, m’ont aidé à avoir recours aux autorités israéliennes sur diverses questions d’accès à certains endroits.
Finalement, votre présence n’est pas accidentelle. Elle repose sur la notion de vérité, et quoi de mieux que de lier le filmeur au sujet. Cette sorte de mise en situation me paraît tout à fait salutaire. Et aujourd’hui, plus que jamais.
En fait, il pourrait bien s’agir d’une mise en abyme de la parole et de l’authenticité. Essayer de résoudre une énigme existentielle.
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