12 juillet 2018
C’est indéniable, Lakeith Stanfield, principal protagoniste de cette satire politique qui tombe à point nommé, est le noble représentant d’une nouvelle génération d’Afro-américains encore plus que leurs prédécesseurs, conscients de leur devenir, leur présent qu’on tente d’effacer, face à un retour en force de la puissance blanche, voire aryenne, inquiète de sa disparition en raison de toutes ces ethnies venues d’ailleurs, faussement menaçantes et qui s’incrustent dans une réalité blanche dominante pour imposer leurs cultures; alors qu’en fait, ces étrangers n’essaient que s’intégrer totalement à ce rêve américain qui n’a jamais existé. L’ère Trump n’a jamais cessé de nous étonner.
Mais le monde, et pas seulement l’Amérique, est divisé. En fractions, en groupuscules, en micro-nationalismes inquiétants, en orientations sexuelles qui, chacune à sa façon, veut imposer sa marque de commerce. En religions aussi. Qui a raison? Moïse? Le Bouddha? Mahomet? Jésus? Le monde est devenu fou.
Sorry To Bother You, titre on ne peut plus discursif car d’une ironie sans précédent, est en fait une incursion dans le terrain glissant de la folie, de l’incompréhension, du doute, du n’importe quoi, de la déconnade, juste pour le simple plaisir de déconner. D’où une mise en scène du rapper Boots Riley surmenée, pleine de bruit et de fureur, de sueurs, d’exaltations et de brefs, très brefs moments de plénitude affective. Mais surtout, et comme il se doit, de militantisme pacifique. Et puis la couleur de la peau, toujours une question d’héritage non partagé. Pas seulement pour les Afro-américains, mais les Asiatiques aussi, les Hispaniques, les autres venus d’horizons lointains.
Oui, « l’enfer c’est les autres », comme disait un personnage dans Huis clos, de ce fameux philosophe-dramaturge-essayiste français que je n’ai pas besoin de nommer. Il y a de tout cela dans Sorry to Bother You, sans doute l’un des films les plus politiquement et socialement engagés de l’année. On ne peut le nier : le cinéma américain, quand il se donne la peine, peut faire trembler l’opinion publique, l’inciter à la réflexion, la soustraire à regarder en témoin un monde en perdition, atteint de trou de mémoire. C’est la raison pour laquelle tous, malgré les apparences, aiment le cinéma de ce vaste pays; pour sa liberté d’expression, pour sa candeur imaginative, sa réflexion universaliste et plus que tout au monde, pour la prise de conscience que l’Amérique est faite de plusieurs talents venus de partout qui s’expriment non seulement à travers le cinéma, mais dans tous les aspects de la vie : comme dans les médias, la politique, la société en général.
Et peut-être bien qu’affaire SLĀV à l’appui, et dont personne, quel que soit le côté, n’a osé révéler les vrais enjeux, se perdant dans des tribunes parfois cocasses et même partisanes, nous devrions apprendre quelque chose de cette indispensable leçon de morale et d’humanité. Sorry to Bother You est une surprise qui confirme que la pensée n’est pas estropiée comme on le pense souvent… et que le débat est non seulement salutaire, mais essentiel.
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MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul / ½ [Entre-deux-cotes]
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