6 septembre 2018
Du roman de Lorenzo Marone, La tentation d’être heureux (La tentazione di essere felici), Gianni Amelio (voir autre texte signé du même auteur dans Séquences, nº 315, septembre-octobre 2018, en kiosque) conserve le goût constant de cette quête absolue qui ne se réalise jamais, ou du moins dans la forme que nous l’envisageons. Et que c’est sans doute la pérennité absolue de cette recherche qui constitue sa réalisation.
Film triste et teinté d’un humour propre aux transalpins, dans une ville de Naples filmée comme un cité fantôme, La tendresse est une curiosité cinématographique par les temps cyniques que nous vivons. Les pas des protagonistes, notamment dans le cas de Lorenzo (excellent Renato Carpienteri) et Fabio (très talentueux et candide Elio Germano) circulent aux biais des murs bâtis de pierres antiques dévoilant le caractère historique des lieux, et soudain des graffitis au goût du jour rendent comptent de la contemporanéité du récit, comme si le nouveau siècle ne se rappelait plus de son passé.
Car La tendresse, c’est aussi la rupture avec l’avant, avec le souvenir qui n’est plus, mais qui en fin de compte, si l’on en juge par la fin (sans trop dévoiler) finit par vaincre le plus récalcitrant des individus. Gianni Amelio, qui a fait son comig out (voir entrevue dans le nouveau numéro de notre revue) il y a peu d’années, filme l’homme, la femme, l’enfant et la société dans leurs complexités les plus insondables. Il y a même quelque chose de viscontien dans la mise en images, de fondamentalement décadent comme ce vieil appartement aux grandes chambres et aux murs d’une hauteur interminable, de ceux qu’on ne retrouve plus dans nos villes, même dans le vieux continent. Dans un sens, nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, des marginaux.
Plus que tout, La tendresse est un hommage à la nostalgie, au temps qui passe, mais aussi à une nouvelle société sans repères, qu’importe l’âge, la religion, le sexe, les origines. Septentenaire, Amelio (dont on a beaucoup admiré Lamerica en 1994) est devenu serein de sa propre condition d’individu parvenu à un moment de la vie où le souvenir et la mémoire comptent plus que toute autre chose; mais il demeure critique envers son contemporain, non pas en le démolissant, mais le poussant à prendre conscience de sa vulnérabilité.
Dans une réalité cinématographique mondiale qui ne jure que par la sainte relève, ce qui, d’une part, est fortement approprié, les vétérans, par contre, ne comptent plus, sauf dans de rares occasions. Partout dans le monde, le culte du jeunisme est devenu cruel, acerbe, très souvent sans que les vrais talents exposent leur savoir-faire. C’est d’autant plus vrai dans le cinéma que dans d’autres disciplines artistiques et encore plus dans la critique, espèce en voie de disparition, si ce n’est pas déjà fait.
Et comme la chanson au générique, le très belle incantation grecque Mia fora thimamai (« il était une fois » ou mieux encore « une fois, je me souviens), mélancoliquement interprétée par Arleta, une chanteuse grecque populaire des années 70, époque sans frontières, la banale réalité nous noie dans un quotidien imposé par le destin, comme dans la tradition gréco-romaine. Ce n’est pas par hasard si Amelio l’a choisie pour son générique. Et une fois n’est pas coutume, voir le film sur Grand Écran procure une sensation de bonheur, de partage avec l’autre et ultimement, d’espoir. Comme une caresse que nous adressons à notre conscient.
Finalement, revoir pendant quelques minutes le visage triste de Greta Scacchi (mère de Fabio, dans le film), c’est se souvenir que le cinéma nous a offert de véritables perles dans le passé. Elle a vieilli, certes comme nous tous, mais en beauté et tout particulièrement avec respectabilité.
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MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul
½ [Entre-deux-cotes]
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