29 octobre 2018
L’énergie communicative de Marc Béland surprend, égratigne notre propre physicalité, sert de bouclier à nos corps endoloris. Il transpire sur scène, s’arrête quelques minutes pour respirer, manie le texte à rythmes différents comme un véritable magicien de la parole et de la tension dramatique.
Avec lui, Alix Drufresne, impériale, contorsionnant son corps comme un objet qui prend vie. Elle aussi manœuvre le texte au diapason avec Béland. Elle est entière, bouleversante et totalement abandonnée à son art. Tous deux dans un espace dramatique neutre, seuls devant les spectateurs ébahis par cette prise en possession des diverses disciplines de la représentation : danse, théâtre, improvisation, le corps offert aux mille et une tentations de la mobilité. Corps puissants, corps sans voile, corps stériles et soudain, comme par magie, un rapport au verbe, à la parole, au mouvement et à la grâce totalement redéfinie.
Pas n’importe laquelle, mais celle provenant de l’enregistrement d’une émission de Marie-France Bazzo, recevant l’économiste et philosophe Alain Deneault pour parler sur les paradis fiscaux. En quelques minutes d’une lucidité foudroyante, c’est à un cours sur le pouvoir de l’argent que nous assistons ; ses perversités, ses dérives, le je-m’en-foutisme des grands de ce monde face à une société faussement démocratique.
Pour cet essai expérimental qu’est Hidden Paradise, en français Paradis caché ou encore mieux dissimulé, c’est le désir urgent de réagir par le geste et le mot, c’est tout ce qui reste à l’individu. La dramaturgie d’Andréane Roy a ceci de particulier qu’elle écorche l’instant, soumet le spectateur à un processus de conditionnement entre le rire, l’engagement et le désespoir. C’est réussi. Concept illuminé des deux créateurs, Dufresne et Béland, possédés par leur art pour mieux politiser l’instant.
Le quotidien n’a jamais reçu autant de leçon d’éthique collective. Pour se réveiller d’un cauchemar qu’on appelle avidité ou injustice ou manipulation… Entre la création et l’actualité sociale, il n’y a qu’un pas. Un bond et ceux qui ont choisi l’art de la représentation pour l’exprimer, poétiquement, hermétiquement (et c’est très bien ainsi) de façon provocante… pour attiser les consciences. Un des plus beaux moments de cette saison théâtrale car brillamment calculé, maitrisé, habité, sans aucune marge d’erreur. Presque parfait.
Idée / Concept
Alix Dufresne, Marc Béland
Dramaturgie
Andréane Roy
Son
Jean Gaudreau
Scénographie / Costumes
Odile Gamache
Éclairages
Cédric Delorme-Bouchard
Performeur(es)
Alix Dufresne, Marc Béland
Production
LA SERRE – arts vivants Production
Diffusion
La Chapelle
[Scènes contemporaines]
Durée
1 h
[Sans entracte]
Représentations
Jusqu’au 6 novembre 2018
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]
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