24 novembre 2018
Quelle idée courageuse du jeune dramaturge américain Lucas Hnath d’avoir créé une suite au chef-d’œuvre ibsénien, portrait nourri d’éléments quasi autobiographiques. Proposition d’autant plus savoureuse qu’au Centre Segal elle repose sur les mains de la metteure en scène Caitlin Murphy, dont c’est ici sa première incursion professionnelle.
Quinze ans après les bouleversements de A Doll ’s House (Une maison de poupée) original, Nora et Torvald se retrouvent, incapable de (re)vivre ensemble malgré les efforts d’Emmy et d’Anne-Marie. Ces revendications où chaque personnage a tort et raison ont lieu dans un décor minimaliste qui s’harmonise avec l’univers de l’auteur original, entre autres, de Hedda Gabler et de Peer Gynt. Murs tapissés de coloris d’époque, nu, sans tableaux ni autres décorations, deux chaises accrochées au mur, une à gauche, l’autre à droite, et que l’on place sur scène pour justement, contenir les débats ; ces objets eux aussi conçus comme des personnages puisqu’ils sont sujets aux nombreuses remontrances (humaines).
C’est grâce aux soins de Pierre-Étienne Locas, totalement subjugué par le sujet, atteint par une sorte de frénésie contagieuse, comme s’il voulait apporter à cette première mise en scène « officielle » (pour ne pas répéter « professionnelle ») de Murphy une aura de sagesse et de bonne foi.
Pari gagné de ce côté. Mais aussi de la part de la distribution, éclatante, somptueuse. En premier lieu, une Victoria Barkoff (Anne-Marie) magnifiquement imprégnée des contradictions du vieil âge entre sagesse et petites mauvaises intentions. La vie, quoi! Puis Nora, celle par qui le combat arrive, féministe avant son temps, consciente que sa lutte ne peut la mener nulle part. Qu’importe, elle se lance dans un avenir incertain dans une finale magnifique. Personnage porté par les épaules d’une Sarah Constible élégante, altière, battante, complexe mais pas complexée, tenant l’espace scénique avec un naturel déstabilisant, jouant avec son corps comme une caresse.
Et puis Oliver Becker, qui rappelle un Jean-Pierre Bacri plus jeune, et qui fait de son Torvald celui qui ne saisit pas le sens et la vraie mission de la femme dans une société patriarcale héritée de siècle de (dé)civilisation. Excellente présence scénique, peut-être un peu trop excité, mais entre lui et Nora (c’est-à-dire entre les deux comédiens), une sensualité exigeante, ou mieux encore renaissante et qui échappe toutefois aux tensions de la tentation.
Et Emmy, une nouvelle génération de jeunes femmes qui croient fermement aux vertus de l’amour (et c’est leur droit), mais inconsciemment, sans doute, de façon préventive (pour ne pas vivre seules). Ellie Moon traverse cette étape avec brio. Adolescente, elle travaillait comme ouvreuse au Segal. Aujourd’hui, elle fait ses débuts dans ce sanctuaire du théâtre anglophone montréalais. Présence magnétique, diction d’une clarté angélique et plus que tout, une physicalité avantageuse qui lui promet un avenir florissant.
Finalement un texte sur les apparences, les vérités, celles que l’on tait, celles que l’on dévoile. Par les temps qui courent, une proposition essentielle. Mais aussi pièce divertissante en même temps que leçon de morale, sans trop insister, prenant les spectateurs par petites doses d’humour et de tons graves. Soirée magnifiquement réussie.
Texte Lucas Hnath
Mise en scène Caitlin Murphy
Régie Elaine Normandeau
Assistante/Régie Danielle Laurin
Distribution
Sarah Constible (Nora), Oliver Becker (Torvald)
Victoria Barkoff (Anne-Marie), Ellie Moon (Emmy)
Décors Pierre-Étienne Locas
Costumes Louise Bourret
Éclairages Anne-Marie Rodrigue Lecours
Musique Christian Thomas
Son Christian Thomas
Production
Segal Centre for the Performing Arts
Durée
1 h 30
(Sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 9 décembre 2018
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]
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