27 janvier 2019
NOUS ATTENDIONS CETTE ŒUVRE AVEC IMPATIENCE, d’une part pour prendre le pouls de ce qui se fait aujourd’hui dans le domaine d’un art encore peu connu du grand public, mais également curieux de voir comment un sujet controversé défierait les normes établies par une discipline artistique plutôt (et pas dans le sens péjoratif) conservatrice.
Aubrey Allicock (jeune Emile Griffith)
Crédit photo : © Yves Renaud
Il est évident que Champion suscite de nombreuses réactions. À mesure que le récit avance, on arrive à délier les fils tendus d’une vie, celle d’Emile Griffith, de son enfance au début de son incontournable finitude, autant de bouleversements, de moments de bonheur fugitif, de mauvaises prises de position, en son nom et au nom de ceux qui l’entourent. C’est ainsi la loi du monde. Nous contrôlons tout le monde; tous nous contrôlent. C’est de cela aussi que le beau texte du librettiste Michael Cristofer parle. Il a autant rédigé pour la scène que pour le cinéma et son expérience dans la manipulation des mots demeure flagrante.
Champion, c’est le regard perdu d’un individu sur la vie. Ce sont les mauvaises décisions qu’il prend au nom de la honte, du faux pouvoir, de la discrimination que lui infligent les autres. De sa propre nature d’homme qu’il ne cesse de remettre en question.
Et ce n’est pas par hasard sir le bar gai tenu par l’adorable Kathy Hagan devient un des décors mis en avant dans cette mise en scène, par moments laborieuse, mais toujours empreinte d’humanité. Sentiments de bienveillance nourris de paroles, de phrases parfaitement contrôlées, mariant le milieu populaire des travailleurs, des oubliés. D’où les voix des chanteurs entre l’opéra classique et la comédie musicale, au diapason de l’opéra proposé.
En plus, une distribution éclatante où l’afro-
américanité se distingue… Toujours est-il qu’en matière
d’intégration, il y a là un exemple édifiant à suivre, bien entendu étant donné que le thème traité l’exige.
Narrativement, on aurait voulu que l’orientation sexuelle du (anti)héros soit plus directement exprimée, comme si en 2019, il fallait encore se cacher pour afficher un simple sentiment de tendresse. Justement, ce n’est qu’à la toute fin qu’Emile s’adresse à Luis, son fils adoptif et aide-soignant en lui disant « Je tue un homme et le monde me pardonne. J’aime un homme et le monde veut me tuer ». Avant cela, un simple point d’interrogation. En revanche, la mise en scène colorée de James Robinson brille par ses multiples atmosphères, alternant entre la joie de vivre et de fêter et les scènes plus intimes où la tristesse, la mélancolie et la nostalgie s’emparent des personnages.
Les décors d’Allen Moyer s’accommodent admirablement bien à ces changements. Soulignons le magnifique travail de vidéo montrant les rues encombrantes de New York et celles de la vie nocturne des années 50 à 70; et autant de rings de boxe où les vrais combattants et ceux de la scène se confondent en un brillant et captivant montage
En plus, une distribution éclatante où l’afro-américanité se distingue (est-ce un clin d’œil à SLĀV et Kanata de Robert Lepage? – si c’est le cas, c’est fait avec les plus sincères intentions du monde). Toujours est-il qu’en matière d’intégration, il y a là un exemple édifiant à suivre, bien entendu étant donné que le thème traité l’exige. Et dans Champion, cette caractéristique rend les spectateurs plus objectivement enclins à partager le drame qui se vit.
Une réussite marquante malgré une présentation plutôt prudente de l’orientation sexuelle.
Catherine Daniel (Emelda Griffith)
Crédit photo : © Yves Renaud
DRAME EN DEUX ACTES
ÉQUIPE DE CRÉATION
Musique
Terence Blanchard
Livret
Michael Cristofer
Mise en scène
James Robinson
Assistance à la mise en scène
Kimberley S. Prescott
Décors
Allen Moyer
Chorégraphe
Seán Curran
Assistance à la chorégraphie
Maverick Lemons
Costumes
James Schuette
Éclairages
Andrew J. Guban
Vidéo
Greg Emetaz
Distribution
Arthur Woodley, Aubrey Allicock
Catherine Daniel, Victor Ryan Robertson
Brett Polegato, Asitha Tennekoon
Chantale Nurse, Meredith Arwady
Sebastian Haboszki, Scott Brooks
Nathan Dibula
Pupitre
George Manahan
[ Orchestre symphonique de Montréal
Chœur de l’Opéra de Montréal
Montreal Jubilation Gospel Choir ]
Durée
2 h 40
(incluant 1 entracte)
Représentations
Mardi 29, jeudi 31 janvier et samedi 2 février 2019
19 h 30
Place des Arts
(Salle Wilfrid-Pelletier)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]
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