30 mars 2019
Oser prendre des risques quitte à désorienter certains spectateurs peu habitués aux classiques, même si la mise en scène s’applique à moderniser le propos jusqu’à le rendre apparent. Autre défi de taille, aujourd’hui impensable : conserver la langue en vers, comme l’avais écrite Racine. Et comme dans toute tragédie qui se respecte, des amours impossibles, assassines, meurtrières. Regard sur notre présent? Peu importe puisque la mise en scène magistrale de Florent Siaud assure une (in)temporalité soumise aux caprices des Dieux et des Humains.
Passé, présent et futurs obscurs se juxtaposent dans un jeu scénique hallucinant, un décor où le mur/rideau sur fond de scène en couleur or se transforme en une sorte de teinte neutre entre le gris et le blanc pâle. Non pas par hasard, mais grâce à un jeu d’éclairages qui explique les états d’âme d’un groupe d’individus pris entre la force du vrai amour et l’envie de posséder.
Britannicus n’est pas si présent, mais on parle de lui sans cesse. Il est l’objet de toutes les convoitises et des jalousies. C’est Néron, le César choisi par Agrippine, celui par qui la finale abrupte arrive, décontenançant le spectateur qui, après mûre réflexion, s’engage dans un monologue intellectuel intérieur pour comprendre les intentions du dramaturge. Repousser les conventions de la tragédie jusqu’à les rendre obsolètes, situer les personnages dans une sorte de non man’s land générique, dont la neutralité permet tous les excès.
Britannicus est aussi un récit incestueux car le drame est une affaire de famille qui compte aussi quelques affranchis profitant pour exercer, eux aussi, un certain pouvoir.
Oui, osons le dire sans ambages, le rythme des voix, le ton, la langue en vers et l’ensemble de la production en font une œuvre intellectuelle d’une puissante énergie, mais dans le même temps salvatrice, porteuse d’idées nouvelles sur le théâtre. Car le Britannicus de Siaud va encore plus loin que son Don Juan revient de la guerre et avant cela Illusions. Une saine maturité atteinte permet des détours quant aux mouvements de personnages. Certains paraissent comme des chorégraphies presque imposées, non pas par caprice, mais pour montrer l’Ère de l’Histoire dont on parle. Et ces passages vidéo en gros plans qu’on arrive à peine à percevoir ne sont-ils pas un hommage bouleversant à Ingmar Bergman? Freud entre ainsi dans cette production.
Le trône n’est plus un simple siège sacré, mais une occasion de dominer, de corrompre, de n’en faire qu’à sa tête. Dans un sens, de valider les effets néfastes de la dystopie. Et Britannicus est aussi un récit incestueux car le drame est une affaire de famille qui compte aussi quelques affranchis profitant pour exercer, eux aussi, un certain pouvoir.
Sur ce point, n’est-ce pas là, après tout, un miroir de notre présent où, justement, avoir cette capacité de dominer peut très bien séduire certaines sphères de la vie, comme la politique, bien entendu, mais également la culture et les médias. Mais cela, c’est une autre histoire.
ÉQUIPE DE CRÉATION
Texte
Racine
Mise en scène
Dramaturgie
Florent Siaud
Assistance à la mise en scène
Régie
Alexandra Sutto
Conseillère à la dramaturgie
Evelyne de la Chenelière
Décors
Romain Fabre
Costumes
Jean-Daniel Vuillermoz
Éclairages
Nicolas Descoteaux
Conception sonore
Julien Éclancher
Conception vidéo
David B. Ricard
Distribution
Marc Béland (Narcisse), Sylvie Drapeau (Agrippine)
Francis Ducharme (Néron), Maxim Gaudette (Burrhus)
Marie-France Lambert (Albine), Éric Robidoux (Britannicus)
Evelyne Rompré (Junie)
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Durée
1 h 50
(Sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 20 avril 2019
TNM.
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MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]
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