17 mars 2019
Faisant partie du webdocumentaire Les murs du désordre proposé par Spira, organisme voué à la production du cinéma indépendant, Bonfires et 99 murs défient quasiment la parole en privilégiant l’image, le cadre, le plan. L’artiste multidisciplinaire Martin Bureau laisse témoigner ces limites filmiques selon une approche spontanée, grave, anti-cinématographique puisque parfois improvisée, suggérée : filmer la mise à feu d’une sorte de tour de Babel faite de morceaux de bois, toutes formes confondues, construite par des jeunes de la classe ouvrière issus de ce qui semble être un quartier défavorisé de Belfast; pour dénoncer justement les murs qui séparent les Protestants des Catholiques.
Aucun représentant de l’État, seul compte la voix du peuple. La parole transformée en gestes. Filmer devient alors un acte de résistance, pièce maîtresse des courts métrages choisis pour la (web)série. En français, Bonfires signifie feux de camp ou feux de joie. C’est dans cette perspective que le message est diffusé, cyniquement, sans commentaires (Belfast) comme si les mots et leur signification ne servaient plus à rien.
Les bâtisseurs intrépides de ce feu de bois sont jeunes et paraissent déjà adultes, dans leurs gestes, leurs comportements, leur enthousiasme presque clinique, froid, déterminé. De l’enfance, on passe directement à la prise de conscience politique que Bureau filme comme si de rien n’était. C’est du cinéma-réquisitoire, du cinéma-rentre-dedans, du cinéma-revendicateur. Le discours se transmet dans notre conscient collectif, d’où la nécessité d’un dialogue entre le filmé et le spectateur. Pour Bureau, la fiction n’est plus un choix. Elle appartient à un autre âge du cinéma, justement parce qu’elle invente et se permet de souvent refaire le monde, édulcorer la réalité ou même encore les réalités.
Filmer le moment, des instants précis, pris au hasard selon le lieu choisi. Et des cartons explicatifs qui nous rappellent notre responsabilité politico-civique ou tout du moins, nous pousse à la réflexion. Une pseudo-paix symbolisée par des murs qui n’ont pas changé les classes sociales dans cet endroit du monde. Et vers la fin, un plan à vol d’oiseau de la ville où les lumières du soir se confondent à des feux à deux ou trois endroits de la ville. Lieux de démarcation. Lieux d’injustice. Lieux d’inégalités.
Pour Martin Bureau, un autre acte de courage comme depuis plus de vingt ans. Pour le changement, pour un meilleur partage, pour la justice et plus que tout, la paix. C’est aussi, une façon comme une autre de filmer la grandeur et la misère de l’utopie, notions qui se perdent dans la nuit des temps.
Dans le cas de 99 murs, la voix-off de Jonny Byrne, de l’Institut de recherche en sciences sociales, à l’Université d’Ulster, se montre précise sur la situation à Belfast. Aucune autre intervention. Sauf des bruits de toutes sortes et celui d’un hélicoptère, sonorités moins que rassurante qui témoignent d’une réalité.
Pour Martin Bureau, un autre acte de courage comme depuis plus de vingt ans. Pour le changement, pour un meilleur partage, pour la justice et plus que tout, la paix. C’est aussi, une façon comme une autre de filmer la grandeur et la misère de l’utopie, notions qui se perdent dans la nuit des temps. Dans les deux cas, on soulignera la conception sonore hallucinante d’Olivier Calvert et la bande-son hypnotique d’Érick d’Orion qui contribuent à transformer ces court sujets de six et cinq minutes respectivement en une expérience salutaire.
Les quatre autres courts métrages se penchent sur les murs entre les États-Unis et le Mexique et Israël et la Palestine. Qui a tort? Qui a raison?
Crédit photos : © Spira
Webdocumentaire : www.lesmursdudesordre.com
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