7 juin 2019
Disparu le 31 mai 2019, Jean-Claude Labrecque était un « régulier » de Séquences : encore récemment, il faisait la couverture du n° 312 de janvier 2018 pour la sortie d’un documentaire lui étant consacré1.
Jean-Claude Labrecque aura pratiqué tous les métiers du cinéma : caméraman, réalisateur, monteur, producteur et bien d’autres. Mais surtout, le cinéaste a visualisé le Québec en le parcourant, en le filmant, en le recadrant, en explorant son imaginaire et sa réalité. Il est un des rares cinéastes québécois à avoir tourné partout au Québec, par exemple dans son court métrage Université du Québec (1972), qui montrait toutes les composantes régionales de ce réseau.
Contrairement à la plupart de ses collègues cinéastes, Jean-Claude Labrecque était son propre caméraman lorsqu’il mettait en scène la plupart de ses films, à part quelques exceptions comme ses premières fictions. Il visualisait ses films au moment de les concevoir, et il faut garder cette particularité esthétique à l’esprit en visionnant ses productions.
Jean-Claude Labrecque a filmé des instants uniques et précieux, que personne d’autre n’a enregistré : un certain général venu de France pour une visite officielle, un portrait de Félix Leclerc chez lui à Vaudreuil, des poètes et poétesses d’ici récitant leurs œuvres, comme Gatien Lapointe et Marie Uguay, les Jeux olympiques de Montréal et de nombreux films corporatifs.
Jean-Claude Labrecque a fait partie de ce que des historiens du cinéma ont nommé « l’aventure du cinéma direct ». Le plan d’ouverture de son court métrage 60 Cycles (1965) est resté célèbre : on aperçoit à l’horizon une file infinie de cyclistes qui s’avancent vers nous sans avoir l’air de se déplacer. Pour obtenir cet effet inoubliable et inédit, Jean-Claude Labrecque avait utilisé une lentille spéciale à très longue focale faite sur mesure.
Un film résume sa démarche intuitive: La visite du général de Gaulle au Québec (1967). Évidemment, personne ne pouvait se douter du retentissement de cette visite prévue pour l’Expo 67. Le cinéaste a réussi à obtenir la permission de s’asseoir sur le plancher de la voiture officielle, entre le Premier Ministre Daniel Johnson et le Général De Gaulle, le jour de son arrivée à Québec. Caméra à l’épaule, il les suit durant certaines de leurs apparitions publiques. Une fois à l’Hôtel de ville de Montréal, circulant au milieu de la foule, le cinéaste sera là pour filmer et immortaliser sa réplique la plus célèbre: « Vive le Québec libre! ». Mais Jean-Claude Labrecque ira encore plus loin : dix-sept ans plus tard, ces plans documentaires du « Vive le Québec libre! » seront intelligemment réintégrés dans la trame de son film de fiction Les Années de rêves (1984), dont l’action se situe en partie durant les années 1960. Lui seul pouvait utiliser d’une manière aussi créative ces documents historiques puisqu’il les avait lui-même filmés; Jean-Claude Labrecque a eu le coup de génie de les inclure dans un nouveau long métrage qui mélangeait intelligemment le documentaire et la fiction, le réel et l’imaginaire, la petite histoire du protagoniste des Années de rêves et le grand récit collectif du Québec moderne. Parmi ses fictions, c’est son long métrage le plus achevé.
Rétrospectivement, Jean-Claude Labrecque restera comme un mémorialiste du Québec2. Il avait rédigé ses mémoires, conjointement avec sa compagne Francine Laurendeau, sous le titre Souvenirs d’un cinéaste libre3.
Techniquement, le film le plus impressionnant de Jean-Claude Labrecque reste Les jeux de la XXIe olympiade (1977), produit par l’ONF, qu’il cosigne avec plusieurs réalisateurs et une équipe de plus de cent techniciens. C’est la version magnifiée de cet événement qui fut fréquemment décrié dans les médias durant sa préparation. Le matériel filmé aurait pu donner sept autres films de deux heures! Ce documentaire aurait pu, lui aussi et avant la lettre, s’intituler « À hauteur d’homme », car les athlètes étaient filmés de si près que l’on pouvait parfois les entendre.
Son documentaire À hauteur d’homme (2003) a été mal compris car plusieurs observateurs n’y voyaient qu’un portrait défavorable du Premier Ministre Bernard Landry (1937-2018); mais en fait, le résultat était ailleurs, car Jean-Claude Labrecque montrait en filigrane le manque d’objectivité des médias face au Parti québécois. Même le politicien le plus important de sa province ne pouvait pas faire passer son message auprès des journalistes qui annonçaient le changement et la nouveauté apparente apportés par l’opposition libérale. C’est ce contre quoi Bernard Landry s’insurgeait, parfois colériquement, et c’est cette attitude que beaucoup de commentateurs ont retenue de ce film qui décrit de l’intérieur la chute d’un politicien digne, intègre et humaniste.
Rétrospectivement, Jean-Claude Labrecque restera comme un mémorialiste du Québec2. Il avait rédigé ses mémoires, conjointement avec sa compagne Francine Laurendeau, sous le titre Souvenirs d’un cinéaste libre3.
N O T E S
1 Labrecque, une caméra pour la mémoire (2017), de Michel La Veaux, in https://www.revuesequences.org/2018/01/labrecque-une-camera-pour-la-memoire/ (Consulté le 31 mai 2019).
2 « Souvenirs d’un cinéaste libre », in Nuit blanche, n°119, juillet 2010 http://www.nuitblanche.com/commentaire-lecture/souvenirs-dun-cineaste-libre/ (Consulté le 31 mai 2019).
3 Jean-Claude Labrecque (avec Francine Laurendeau). Souvenirs d’un cinéaste libre. Montréal : Art global, 2009.
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