3 octobre 2019
RÉSUMÉ SUCCINCT
Arthur Fleck rêve de devenir humoriste, mais gagne modestement sa vie comme clown en faisant de la réclame pour des magasins en faillite. Atteint de troubles mentaux, il habite avec sa mère invalide dont il partage la passion pour l’animateur de talk-show Murray Franklin. Souvent objet de moquerie de la part de ses collègues, Arthur a l’habitude d’encaisser les coups…
Disons-le tout de go : Joker est contraire aux produits cinématographiques de la filiale DC Comics. Le réalisateur, entre autres, des trois films de la série culte The Hangover (2009-2013) propose une œuvre intense, grave, politique, aussi exigeante que dérangeante, un essai tout à fait personnel où les préceptes de la mise en scène et de la direction d’acteurs deviennent pour ainsi dire des professions de foi, s’attachent à redéfinir le récit traditionnel et mine de rien, peut-être sans qu’il s’en aperçoive, permettent au cinéaste américain de jongler avec le médium.
Il y a, dans Joker, une profonde affection pour les atmosphères glauques, atteintes d’une mélancolie sans nom, celles qui s’infiltrent dans la peau, qui envahissent la pensée. Les personnages fictifs et les passants dans ce New York du début des années 1980, (référence loin d’être gratuite dans la marquise d’un cinéma de Manhattan – Zorro: the Gay Blade, de Peter Medak) où tout est dans un état de détérioration sans bornes, où les classes sociales se distinguent de plus en plus, où l’humour est devenu un luxe et où les fameux talk-shows nocturnes des chaînes de télévision sonnent le clairon d’un nouveau monde en devenir, mais sans qu’il soit défini – surgissent comme des fantômes dans un monde en pleine transformation. Détruire avant de (re)créer.
D’où la séquence lorsque Joker, de son vrai nom Arthur Fleck, est reçu par Murray Franklin (comme toujours, aussi versatile Robert de Niro) animateur d’une de ces émissions de fin de soirée. On ne vous dévoilera pas les détails, mais cette partie du film est la métaphore d’un monde qui s’écroule et annonce, sans se soucier, de quelque chose impossible à déchiffrer.
Car Joker ressemble à quelque chose entre le 1984 d’Orwell et Brave New World (Le meilleur des mondes) de Huxley. C’est un film d’anticipation, mais pas dans le sens pur du terme; au contraire, il s’agit de la pensée claire et précise d’un cinéaste, autrefois égrillard, quasi débauché, pas vraiment misogyne ou homophobe, simplement pour égratigner, décidé à brosser un portrait du monde actuel en situant l’action dans les années 1980 – Par choix? Pour ne pas trop effrayer les spectateurs d’aujourd’hui? Pour que la rectitude politique qui envahit sans cesse notre quotidien ne subisse aucune écorchure?
Indéniablement, un des meilleurs et des plus puissants films américains de l’année.
Qu’importe les intentions. Car avant tout, Joker est un film d’acteur où l’art d’interprétation atteint des sommets gigantesques, narcissiques, intentionnellement extrêmes. Joaquin Phoenix transforme son corps en une sorte d’androïde humain stupéfiant, se transformant d’une seconde à l’autre, entre l’être émouvant (sa stérile relation avec Sophie Dumon, très sensible et charismatique Zazie Beetz) et le monstre social qui commet les plus viles excès.
C’est aussi (et peut-être surtout) un film sur la différence, celle de ne pas reconnaître quelqu’un comme soi, sur les altérités blessées, sur ce que le 20e siècle nous a laissé comme héritage. Et c’est un film triste, bouleversant, qui donne souvent la chair de poule, sans vraiment le vouloir. Comme ça, pour éveiller notre conscience, pour nous ramener sur terre, pour finalement saper à raison notre confort et notre indifférence.
Indéniablement, un des meilleurs et des plus puissants films américains de l’année.
FICHE TECHNIQUE
Sortie
Vendredi 4 octobre 2019
Réal.
Todd Phillips
Genre(s)
Drame psychologique
Origine(s)
États-Unis
Canada
Année : 2019 – Durée : 2 h 02
Langue(s)
V.o. : anglais / Version français
Joker
Dist. @
Warner Bros. Canada
Classement
Interdit aux moins de 13 ans
[ Violence ]
En salle(s) @
Cineplex
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]
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