25 janvier 2020
1998. Dans la file d’attente de l’épicerie Sobeys de Paspébiac, je parcours en diagonale le dernier TV Hebdo, à la recherche de la section cinéma. J’ai 14 ans.
« Ah, je peux pas croire qu’ils ont aimé ça ! Pis maudit que c’est mal écrit ! »
Déjà, gorgé de cette impétuosité propre à l’adolescence, je rêvais d’être critique de cinéma. Des sorties en salle et des nouveautés VHS couvertes par cette publication aujourd’hui à peine utile (se donne-t-on encore la peine de l’imprimer ?), quelques pépites indénichables en terre gaspésienne frustraient mon intempérante cinéphilie. Ces « films d’auteur » (à chuchoter avec révérence), ceux de Lynch et d’Almodóvar, de Wong Kar-wai et de Jarmusch, il m’était pratiquement impossible de les voir. J’ai dû faire mon éducation cinématographique ailleurs, grâce à Super écran, au club vidéo de Paspébiac qu’on appelait tous affectueusement Chez Claude (la plus grande sélection de films de Sylvester Stallone dans l’est du Québec) et au Cinéma Royal de New Carlisle, où j’ai vu Teenage Mutant Ninja Turles III, Hard Target avec Jean-Claude Van Damme et Ace Ventura: When Nature Calls. Comme on dit, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.
Je suis reconnaissant de ces racines populaires. Elles me permettent aujourd’hui de considérer à valeurs égales un documentaire de Wang Bing et Kingpin des frères Farrelly. Quoiqu’en disent les irascibles pourfendeurs de la Marvel Cinematic Universe et autres franchises à la Fast and Furious, le cinéma est aux yeux de la majorité qu’un pur divertissement. À nous de leur prouver qu’il peut être ça et bien plus.
Nous voilà 20 plus tard, alors qu’on me confie le poste de rédacteur en chef de la revue Séquences. De l’angoisse initiale, celle de diriger la troisième plus vieille publication francophone de cinéma encore en activité, une excitation s’est mise à poindre en moi, celle de pouvoir satisfaire en toute liberté cette passion des vues et des mots. Celle aussi de toucher à l’imprimé, que je préférerai toujours au contenu en ligne. Aucun absolutisme : l’instantanéité d’Internet possède des avantages que je n’ai pas à énumérer ici. Tout de même, comment ne pas apprécier la savante mise en page du New Yorker, permettant de plier chaque exemplaire en deux, puis en quatre, pour le lire à son aise debout dans un autobus ? Comment bouder ce plaisir de parcourir chaque nouveau numéro de Liberté, confectionné avec un soin esthétique inégalé dans le milieu du magazine au Québec ?
Aux lectrices et lecteurs assidus de Séquences, soyez sans crainte. Cette rigueur à laquelle vous avez été habituée demeurera. Mais quelques changements sont à prévoir dans les mois à venir. D’emblée, nous voulons remettre la lumière sur le cinéma québécois, comme en atteste notre couverture consacrée au sidérant The Twentieth Century de Matthew Rankin et nos critiques de huit films produits récemment ici. Nous tenterons également de rendre cet objet précieux que vous tenez dans vos mains plus attrayant à l’œil. D’ici là, je vous invite à nous redécouvrir et à constater par vous-même l’enthousiasme qui nous anime.
J’en profite pour adresser de chaleureux remerciements à toute l’équipe de rédaction de la revue. Sans leur dévouement, la confection in extremis de ce présent numéro m’aurait causé de nombreux maux de tête et quelques cheveux gris.
En espérant de tout cœur vous donner le goût de nous suivre dans les mois et les années à venir,
JASON BÉLIVEAU
RÉDACTEUR EN CHEF
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