23 septembre 2020
Des « pas de colonne », les Québécois ? Des béni-oui-oui, passifs, aliénés et contents de l’être, au point de n’avoir aucune réelle perspective sur leur condition réelle ? Ou plutôt, le Québec serait-il cet eldorado des rêves et légendes, paradis où tout un chacun peut vaquer à ses occupations l’esprit tranquille, confortable dans le giron d’une province où la justice prévaut et où le racisme systémique n’existerait tout simplement pas ? Et lequel de ces deux extrêmes pourrait expliquer ce flagrant manque d’intérêt de notre cinéma envers notre histoire politique et l’engagement citoyen ? En considérant la totalité de notre production cinématographique des 10 dernières années, il n’y aurait aucune raison de s’insurger au Québec. Ni même d’ériger des monuments à la gloire de nos politiciens ou de nos militants les plus notoires.
Les États-Unis l’ont vite compris (ils l’ont l’affaire) : le cinéma est un fabuleux moyen de se constituer en tant qu’utopie fonctionnelle. Pour citer la célèbre phrase à la fin de The Man Who Shot Liberty Valance : « When the legend becomes fact, print the legend ». Quand la légende devient réalité, imprimez (ou filmez) la légende. Mais pour chaque Mr. Smith Goes to Washington savamment mis en scène, pour chaque hagiographie édifiante, Hollywood produit en contrepartie un All The President’s Men, rappelant qu’il faut demeurer alerte et méfiant face au pouvoir, quel qu’il soit. Ainsi, une sorte d’équilibre est atteint. Au Québec, impossible de s’entendre sur quelle figure à immortaliser, alors qu’un politicien déterminant comme René Lévesque continue de diviser. Malgré deux miniséries télévisuelles au succès mitigé (1994 et 2006), comment imaginer, dans le contexte actuel, qu’un biopic à grand déploiement pourrait lui être consacré ?
Les railleries de la satire sont plus dans nos cordes, du sympathique Guibord s’en va-t-en guerre au cynique Votez Bougon, ainsi que les retours à la crise d’Octobre, blessure encore fraîche, de façon détournée dans Les rois mongols ou frontalement avec La maison du pêcheur et Corbo. Mais cela est bien peu en tenant compte du nombre effarant de récits initiatiques (le je avant le nous) qui nous sont présentement proposés. En dehors des controversés Laurentie et Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, de Mathieu Denis et Simon Lavoie, au sujet de notre marasme identitaire moderne et du legs du Printemps érable, le cinéma politique, engagé ou non (comment ne pourrait-il pas l’être ?), semble autant nous exciter qu’une potentielle suite à French Immersion – C’est la faute à Trudeau. En attendant le jour où un producteur zélé proposera à la SODEC un film sur le règne de Jean Charest, mettant en vedette Paul Doucet, tiens, espérons revoir poindre chez nos cinéastes de fiction une volonté claire de mettre en scène les institutions qui nous constituent et nous régissent. Car il n’y a que les bienheureux, donc les imbéciles, pour ne jamais rien remettre en question.
Le cinquantième anniversaire de la crise d’Octobre est donc une occasion de revenir sur cette question de l’engagement et du politique dans notre cinéma, en prenant comme point de départ la sortie récente du documentaire Les Rose de Félix Rose, vibrant portrait d’une famille marquée par le militantisme, et particulièrement de deux frères qui ont décidé de servir leur cause, l’affranchissement identitaire et économique des Canadiens français, jusqu’à un point de non-retour. De circonstance, on farfouille dans nos archives et on ramène de l’avant un logotype introduit en couverture de notre numéro du mois de février 1971, qui n’a pas pris une ride et qui s’adapte joliment aux éléments graphiques déjà en place. Je profite aussi de l’occasion pour remercier l’artiste-collagiste Jennyfer Bouliane pour cette œuvre originale en couverture, prenant comme matériau de base cette photo devenue emblématique de Paul Rose, poing en l’air.
JASON BÉLIVEAU
RÉDACTEUR EN CHEF
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