17 décembre 2021
Bye Bye Bye. Vernis pop, clinquant. Mais comme recouvert d’une poussière grasse. La chanson du groupe NSYNC donne le ton à ce film improbable et pourtant si réel, où l’écho optimiste d’un boys band d’antan ne fait que rappeler la gloire du « ça a été ». Après le sublime The Florida Project, Sean Baker décide de rester dans les États du Sud mais en troquant la Floride pour le Texas. Chez Baker, les lieux façonnent les personnages et instaurent dès les premiers instants un imaginaire fort, comme cette unique maison délabrée entourée de raffineries où débarque Mikey. Malgré l’aura de loser qui l’accompagne partout où il va, Mikey possède un je-ne-sais-quoi de magnétique, un sex appeal tape-à-l’œil fané qui provoque, chez celles et ceux qu’il subjugue, une certaine fascination. Beau parleur, éternel adolescent dont la gloire est depuis longtemps ensevelie sous une couche de mensonges et de mauvaises décisions, il ne peut — ou ne veut — s’ajuster au monde adulte, rêvant de glitter et de lube et d’une jeune rouquine qui vend des beignes. Narcissiste, individualiste, hyperactif. Une caricature ? On voudrait le croire, mais cette figure polarisante qu’on aime et qu’on déteste est, en fin de compte, criante de vérité; un archétype nourri aux clichés dès la plus tendre enfance, aux opinions arrêtées, au comportement provoquant d’innombrables dommages collatéraux.
Voilà que le titre semble prendre ici tout son sens. D’aucuns pourraient y voir une métaphore de la personnalité incandescente, de l’énergie hyperactive de Mikey Saber, ex-vedette de films pour adultes incarnée ici par l’infatigable Simon Rex. Soit. Mais les plus fins, ou tout simplement les plus bilingues d’entre nous, qui maîtrisent peut-être — non sans une certaine fierté — quelques expressions de slang, savent vraiment ce dont il s’agit. Oh ! oui, ils savent. Ceux-là mêmes qui ont déjà un sourire en coin en ayant lu le titre sans même en connaître le propos. Car oui, ce red rocket désigne, purement et simplement, une érection canine. Nul besoin de verser dans la surinterprétation. Une bête réaction physique basée sur le désir qui, bien souvent pour le pire, outrepasse, contourne la raison. Tout est dit. Mais une question demeure : aurait-on assisté au grand retour de la prothèse pénienne de Mark Wahlberg près de 25 ans après Boogie Nights ? En fait, probablement pas. Car, en fouillant ici et là, on découvre assez facilement que Simon Rex est le parfait exemple d’une réalité qui dépasse la fiction. D’abord acteur de films pour adultes, il devient par la suite mannequin puis VJ à MTV et rappeur sous le pseudonyme Dirt Nasty (évidemment). Bien qu’il ait incarné des rôles très secondaires dans quelques films comme Scary Movie 3, Rex tient, dans Red Rocket, son premier grand rôle au cinéma où il étale toute son authenticité, son énergie brute et son sourire niais à vélo.
Mikey entretient un flirt risqué avec Strawberry, 17 ans, qui culmine dans une finale nimbée de teintes rose et jaune, symbole d’un avenir meilleur telle cette fuite à Disney World à la fin de The Florida Project. Mais cette finale bonbon est-elle bien réelle ou n’est-ce qu’un bref moment de grâce avant une débâcle qu’on imagine inévitable ? Ou est-ce une manière de renvoyer ce fantasme résolument cliché au visage de tous ces hommes en crise, si prévisibles et petits, qui gonflent leur ego à l’aide des pires artifices ? Au-delà du décor et de Mikey, c’est la richesse des personnages secondaires — qui incarnent le seuil entre naturalisme et caricature — qui fait la force du film. Lexi (Bree Elrod) et sa mère qui fument comme les raffineries qui les entourent, la dealeuse vétérane et sa fille qui ne se laisse pas impressionner, le voisin mytho qui provoque un carambolage; des personnages d’une banalité déconcertante et, pourtant, plus grands que nature, vrais et crus, sortis d’un vox pop sur une chaîne locale de la Fox. Il y a là un potentiel narratif inépuisable que Baker exploite avec une efficacité redoutable.
Chose certaine, Sean Baker trouverait sa place dans un hypothétique pique-nique avec les frères Safdie, Andrea Arnold et Harmony Korine.
Festif.
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