Mot de la rédaction

No 333 – À toi les oreilles!

13 janvier 2023

La nouvelle a fait grand bruit. ICI Radio-Canada Télé a annoncé en octobre dernier que le Gala Québec Cinéma, créé en 1999 sous le nom La soirée des prix Jutra, ne sera plus diffusé sur ses ondes. Ses cotes d’écoute étaient en chute libre depuis 2018, sa réputation était celle d’un gala ennuyeux qui célébrait des films que personne n’avait vus. Le couperet est tombé sans préambule, d’une façon que d’aucuns pourraient qualifier de cavalière. Le réseau de télévision a promis de poursuivre sa mission de promotion du cinéma québécois, notamment en remaniant le gala à l’intérieur du talk-show Bonsoir bonsoir !, animé par Jean-Philippe Wauthier. Proposition des plus nébuleuses, mais pour l’instant nous n’en savons pas plus.

Cartes sur table : je n’ai jamais aimé regarder le Gala Québec Cinéma. Je trouve insupportables les remises de prix, leur glamour plaqué, les remerciements à n’en plus finir, les numéros de variété gênants. Des ami·e·s et moi organisions de temps à autre une cagnotte de prédiction des récipiendaires, question de pimenter une soirée qui, nous en étions tou·te·s convaincu·e·s, ne nous réserverait rien d’excitant.

Les difficultés qu’a essuyées le Gala Québec Cinéma dans les dernières années ne sont pas isolées. Depuis 2021, les Oscars parviennent de peine et de misère à rejoindre une fraction de leur auditoire des 20 dernières années. Les Golden Globes ont été récemment critiqués pour une absence de diversité parmi ses membres de la Hollywood Foreign Press Association (on se rappellera aussi du mouvement #OscarsSoWhite en 2015). Connue pour sa désinvolture, leur cérémonie n’a pas été télévisée en 2022. Et je vous épargne les scandales qui continuent d’écorcher les Césars du cinéma. Alors, en quoi tous ces galas sont-ils encore pertinents ? Le Gala Québec Cinéma faisait-il réellement rayonner notre cinéma ? Avait-il un impact direct sur les locations en ligne des films récipiendaires, par exemple ? Ces séances de plus en plus embrassantes d’autocongratulation nous intéressent-elles toujours vraiment?  Il y a quelque chose d’antique dans le concept d’un tel gala télévisé, un archaïsme clinquant qui ne s’accorde plus avec le désintérêt grandissant du public moyen — il faut bien l’admettre — pour le cinéma et ses stars.

Comment Radio-Canada pourrait-elle faire la promotion du cinéma autrement ? Certains ont proposé judicieusement la télédiffusion de films québécois de qualité à heure de grande écoute. Mais il suffit de jeter un œil à la grille horaire actuelle de la SRC pour comprendre que le jour où Viking de Stéphane Lafleur (notre critique en page 18) prendra la place de Stat ou des Enfants de la télé au petit écran en soirée n’est pas encore arrivé.

Pourquoi ne pas investir un autre médium dans lequel Radio-Canada excelle ? Pourquoi ne pas produire une émission radiophonique hebdomadaire sur le cinéma québécois et international, disponible en balado ? Ailleurs dans le monde, le podcast est un magnifique vecteur d’informations sur le 7e art. Aux États-Unis seulement, You Must Remember This, Unspooled et Filmspotting mènent une petite révolution avec des contenus de qualité, à la fois intelligents et divertissants. Même Quentin Tarantino et Roger Avary se sont joints à la fête en animant depuis cet été The Video Archives Podcast, incursion ludique dans l’univers des films en VHS qui peuplaient les rayons des clubs vidéo dans les années 1980.

Voici ma proposition : une émission hebdomadaire d’une heure, disponible tous les vendredis sur l’application Ohdio, sans complaisance, ni minouches, réunissant entrevues, critiques des nouveautés en salle, actualité et box-office. Une émission avec un budget conséquent (une fraction de ce qui était investi dans le Gala Québec Cinéma), des invité·e·s de marque, mais pas uniquement ça : de l’analyse pointue et de l’humour aussi. Une émission dans laquelle, chaque semaine, un animateur recevra un panel de critiques (bien rémunérés) parmi les plus respectés au Québec. Je pense bien sûr à Helen Faradji, Odile Tremblay, François Lévesque et George Privet, mais également à des critiques plus jeunes et de médias spécialisés, comme Mathieu Li-Goyette, Justine Smith, Sylvain Lavallée et Maude Trottier. Cette formule, rappelant celle de la mythique émission Le masque et la plume de France Inter, diffusée depuis 1955 et animée par Jérôme Garcin depuis 1989 (!), encouragerait des discussions enthousiasmantes, des prises de bec et des débats enflammés, soit une réelle passion du cinéma partagée par des gens qui y consacrent leur vie.

Donnez aux critiques une réelle possibilité de mettre en lumière notre cinéma. Parce que c’est aussi ça, leur métier.

JASON BÉLIVEAU — RÉDACTEUR EN CHEF


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