23 décembre 2011
>> Élie Castiel
Rédacteur en chef
Cette semaine, nous recevions un communiqué de presse plutôt troublant émanant de l’ARRQ (Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec). Dans ses décisions rendues publiques, la SODEC a décidé de financer un film avant même qu’un réalisateur soit confirmé. L’organisme gouvernemental accorde en effet une subvention au film Les Boys, le premier chapitre, scénarisé par Richard Goudreau, produit par sa propre maison de production (Melenny Productions), et distribué par les Films Séville.
Qu’il s’agisse autant d’un film grand public que d’un essai artistique et personnel, cette façon de faire nous paraît contraire aux règles de l’art, particulièrement lorsque l’argent provient de fonds publics. Mais plus encore, écarter le réalisateur (ou réalisatrice) de toute décision est un affront envers la création. On ne voit dans cette décision qu’un accord purement commercial , sans aucun souci de vision artistique, alors que le cinéma est un phénomène culturel issu de l’imaginaire, donc de l’inspiration. Et que dans le processus de mise en scène, l’apport du réalisateur n’est que plus crucial, essentiel et avant tout prioritaire.
Nous soutenons donc l’ARRQ qui invite la SODEC à revenir sur sa décision, afin de réévaluer le projet une fois que le nom du réalisateur sera déterminé. Quelque chose nous dit que ce nom sera dévoilé sous peu puisque ce genre de projet risque de rapporter gros. Quant au produit final, c’est au public (et à la critique) d’en décider.
Passons à autre chose. Situé à Istanbul (Turquie), le Cinéma Emek risque d’être la victime (et sans aucun doute le sera) des démolisseurs si le gouvernement n’intervient pas à temps et prouve que la culture est importante et nécessaire, même en temps de crise. Victime de plus en plus de la privatisation, une des conséquences de la nouvelle politique économique mondialiste, cet ancien édifice culturel, vieux de près de 90 ans, devrait être remplacé par un centre commercial qui abriterait, en principe, un multiplexe plus moderne.
Mais aujourd’hui, pour fins de rentabilité, ces nouvelles salles qui se ressemblent et s’assemblent les unes aux autres ne présentent, en général, que des films commerciaux, grand public, offrant aux spectateurs les gadgets technologiques les plus modernes. Peut-être bien que le Emek ne correspond plus à cette nouvelle tendance, mais il défendait, si l’on en croit les échos, un cinéma plus artistique, dont plusieurs films à petit budget. Par ailleurs, avec ses presque 900 places, l’Emek accueillait depuis 20 ans le Festival du film d’Istanbul, événement important du pays. Bien que le gouvenement turc se soit prononcé pour l’arrêt temporaire des travaux, il n’en demeure pas moins qu’il soutient catégoriquement la rénovation de l’emplacement (apport de nouvelles taxes oblige). Encore une victime de la détérioriation culturelle en matière de cinéma.
Ici, à Montréal, ainsi qu’en région, de nombreuses salles de prestige ont disparu depuis fort longtemps (voir le très beau livre de Pierre Pageau à ce sujet). Signe du temps sans aucun doute, mais à bien y penser, ce phénomène n’est en fin de compte que le reflet d’une dynamique sociale en mutation dont les immenses abîmes d’idiosyncrasie culturelle entre une génération et l’autre s’affirment à une vitesse inquiétante. En espérant que 2012 apporte vigilance, prise de conscience et surtout sagesse.
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