31 mai 2012
>> Élie Castiel
Si le Printemps d’Érable a pris une ampleur frondeuse, jubilatoire et pleine d’espoir, montrant une jeunesse qu’on croyait amorphe, apathique, insensible aux mouvements politiques et sociaux, force est réaliser que les finissants de l’École nationale de cirque prouvent le contraire en affichant un tempérament autre, occulté, qui, du jour au lendemain, éclate au grand jour, donnant de grands signes d’espoir.
Pour terminer la 30e année de création avec panache, l’ENC présente deux nouveaux spectacles d’une extraordinaire imagination, sophistiqués, élégants, raffinés, des tours de piste inoubliables, d’une sensualité débordante.
Dans Génération 2.0, titre on ne peut plus révélateur, les jeunes adultes sont dans la vingtaine. Leur mode de vie : vivre en Narcisses éternels devant le nouveau Dieu, sorte de cordon ombilical, le virtuel. Ils en sont conscients, mais s’évertuent à isoler leurs angoisses, leurs frustrations et leurs tourments à l’extérieur et à l’intérieur d’un appareil insensible à leurs douleurs, le cellulaire, nouveau moyen d’(in)communication.
Pour mettre en scène ce cri du cœur sourd et violent, la création d’Anthony Venisse déploie un remarquable arsenal scénique. Cirque, jeu d’interprétation, chorégraphie, expression des visages, tout est rassemblé pour rendre le spectacle aussi divertissant que bouleversant. Le choix musical, intense et passionné, mêle le populaire, les airs d’opéra et le classique, offrant une gamme d’émotions joyeuses et intenses. Mais ce qui surprend le plus, ce sont les numéros.
Les artistes sont jeunes, attrayants ; ils ont des corps sculpturaux et de l’énergie à revendre. Qu’il s’agisse de la corde lisse, du cerceau aérien, des numéros d’équilibre ou bien encore des contorsions, tout ces manèges électrisants nous ramènent à l’ordre, nous poussant à remettre en question nos valeurs et nos préjugés. Les artistes-étudiants sont francophones et anglophones, solidaires, unissant leurs pluralités linguistiques et sociales dans un spectacle rassembleur extraordinaire.
Avec La Flèche au cœur, Estelle Clareton et Howard Richard proposent un voyage dans un territoire dévastée où n’ont survécu que quelques individus. Comment vivre dans le néant, dans le vide presque absolu, dans un non-lieu, dans un no man’s land insensible à la douleur ? Passablement moins ambitieux que Génération 2.0, le deuxième spectacle se penche surtout sur la folie créatrice comme moyen de supplanter l’absurde et l’indifférent. Et pour y parvenir, des numéros d’une force athlétique foudroyante mêlant folie et désespoir, gestes ludiques et extrêmes, semblant de joie de vivre et dépaysement, toutes ces manifesttions exécutées de main de maître. Et à la fin, une note d’espoir qui brille et unit les couples, bâtisseurs d’un nouvel ordre mondial fondé, entre autres, sur l’une des lois fondamentales de l’existence, l’Amour, aussi nanar que cela puisse paraître.
Représentations : Jusqu’au 10 juin 2012, à la TOHU.
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