11 juillet 2012
>> Élie Castiel
Seul sur scène, Theodore Bikel se souvient, parcourt le temps, parle à un auditoire captivé par ces souvenirs, ces joies et ces drames issus des Shtetles d’une Europe centrale révolue. Une accordéoniste et un pianiste cachés par un voile transparent en arrière-scène l’accompagnent, formant ainsi un trio illustre et intemporel.
Bête de scène. Près de 70 ans de carrière. Malgré son âge, 88 ans, Theodore Bikel subjugue, émeut, se comporte comme si l’espace scénique était sa raison d’être, son environnement privé et public. Il s’adresse à l’auditoire comme s’il s’agissait d’une rencontre intime entre lui et chaque spectateur.
Il s’organise aussi pour que la plupart de ceux qui assistent au spectacle puissent s’identifier aux personnages qu’il évoque d’une manière ou d’une autre. L’auteur qu’il défend avec une énergie viscérale et farouche est celui qui a influencé sa vie et sa carrière. Il parle de l’enfance, de la famille, de la vie et de la mort. Bikel nous rappelle jusqu’à quel point l’humour juif a inventé une façon de vivre, de contrer les intempéries de l’existence. Entre la scène et l’espace théâtrale, une connivence, un rapport de force qui détermine ce que veut dire partager.
Sur scène, Bikel a joué dans My Fair Lady, Jacques Brel is Alive and Well. Il a même incarné le célèbre Zorba et joué dans plus de 30 films. Cette fois-ci il rend hommage à une figure clé de la littérature et de la dramaturgies Yiddish, Sholem Aleichem, défenseur d’une langue particulière qu’un peuple invente par le hasard des choses, comme saisi par une volonté de survivre, de préserver ses racines, de s’identifier.
Sur scène, Bikel revêt ce personnage, raconte sa trajectoire extraordinaire, nous parle du « peuple du livre », de ses peines et de ses misères, de ses petites joies, de son tempérament particulier, de cette tendance à répondre à une question par une question. Il le fait grâce à une mécanique du mouvement qui sous des apparences de simplicité, demeure compliquée parce que vraie, authentique. Il est également secondé par un metteur en scène conscient du matériel qu’il doit manipuler. Sur ce point, Derek Goldman laisse Bikel improviser, se permettre des mises en abyme sublimes et inspirées, même si on sent un rapport harmonieux entre lui et l’artiste.
Pour le spectateur, il s’agit d’une expérience théâtrale riche et féconde, un one-man-show d’une tendresse infinie mené par un artiste complet qui, tout en renouant avec la mémoire, rend un hommage émouvant à Tamara Brooks, sa compagne de vie récemment décédée qui signe les arrangements musicaux. Par sa limpidité, Sholom Aleichem: Laughter Through Tears redonne à la langue Yiddish les lettres de noblesse qui lui perrmettent de compter sur ses défenseurs, de plus en plus nombreux.
COTE : ★★★★
SPECTACLE SOLO | Mise en scène : Derek Goldman – Comédiens : Theodore Bikel, accompagné de Josh Dolgin (piano) et Merima Ključo (accordéon) – Arrangements musicaux : Tamara Brooks, assistée de Dolgin et Ključo – Scénographie : Robbie Hayes – Éclairages : Jody Burkholder – Costumes : Mélanie Ermel | Durée : 1 h 30 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 22 juillet 2012 – Centre Segal des arts et de la scène.
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