3 novembre 2012
Cette année, ce festival atteint l’âge adulte puisqu’il a 18 ans et prend sa place dans les manifestations culturelles montréalaises en permettant la présentation, dans de belles conditions au fameux cinéma Impérial, de films francophones populaires ou d’auteur de bonne qualité et en servant depuis son début de rampe de lancement réussi à plusieurs.
>> Luc Chaput
Cette année, les liens que le festival a déjà tissé avec des acteurs culturels lui permettent de présenter une rétrospective de Claude Miller incluant plusieurs de ses œuvres marquantes, La Meilleure façon de marcher, Garde à vue, L’Accompagnatrice et L’Effrontée. Dans son ultime film, relecture de Thérèse Desqueyroux, Miller dresse un portrait d’un classicisme formel du parcours tortueux d’une femme qui veut s’émanciper du carcan de familles bourgeoises bordelaises aux opinions depuis longtemps arrêtées. Audrey Tautou incarne avec finesse cette épouse aux droits restreints par la loi et qui fume cigarette sur cigarette puisqu’alors dans les années 20, c’était déjà un symbole conscient ou non de différence. Cinemania, en s’associant avec la Cinémathèque pour une rétrospective de Sandrine Bonnaire, actrice pour Pialat entre autres et réalisatrice, aurait d’ailleurs pu présenter l’adaptation de 1962 de Thérèse Desqueyroux signée Georges Franju et qui gardait la structure en flashback du roman de François Mauriac.
Le cinéma belge, qui donne aussi une grande visibilité au cinéma francophone avec le festival de Namur, est l’objet d’un coup de projecteur sur quatre films qui ont eu des échos pour le moins favorables et même des prix dans d’autres festivals, que ce soit Mobile Home de François Pirot ou Dead Man Talking de Patrick Ridremont, qui semble avoir une parenté thématique avec Manners of Dying de Jeremy Peter Allen.
L’acteur et réalisateur belge Lucas Belvaux a tourné au Havre 38 témoins, site de deux jouissives comédies présentées l’an dernier, Le Havre d’Aki Kaurismaki et La Fée du couple Fiona Gordon, Dominique Abel et de Bruno Romy. Opposant le port où travaillent deux des principaux protagonistes et une portion d’une rue du centre-ville conçu en 1945 par Auguste Perret, le cinéaste, adaptant un roman de Didier Decoin sur l’effet Kitty Genovese, pose la question morale et juridique de la non-assistance à personne en danger dans nos villes surpeuplées et où surgissent des crimes contre les biens ou les personnes. L’enquête policière du début se transforme dans une dissection d’un couple confronté au doute, au non-dit et à la réprobation tacite ou directe de ses voisins.
Louise Wimmer a presque tout perdu de son statut social, obligée de vivre dans son auto et d’accepter les petits boulots. Le réalisateur français Cyril Mennegun a gardé les qualités de son travail de documentariste pour dresser ce portrait, Louise Wimmer, juste et dur de la vie de trop nombreuses personnes en cette période de crise. L’actrice de théâtre Corinne Masiero incarne avec une force tranquille cette Louise, belle femme au caractère trempé qui affronte les difficultés de la vie, entière face au miroir des autres et laissant quelquefois émerger d’autres aspects de son être.
Ce jeune festival nous donne aussi l’occasion de voir le dernier mais peut-être pas ultime film d’un réalisateur de bientôt 104 ans, le Portugais Manoel de Olivera. Gebo et l’ombre conserve son caractère théâtral dans cette adaptation aux allures de captation de l’oeuvre éponyme de Raúl Brandão, compatriote du cinéaste. Claudia Cardinale se joint à Michael Lonsdale et Jeanne Moreau ainsi qu’aux deux complices habituels du réalisateur Leonor Silveira et Luís Miguel Cintra pour ce regard poétiquement réaliste sur la responsabilité que conservent les parents par rapport à leurs enfants tout au long de leurs vies. La cinématographie de Renato Berta aux lumières restreintes a des aspects de peintures de Georges de La Tour spécialement Job raillé par sa femme. Des films policiers, des comédies de mœurs de même que le brulot L’ordre et la morale de Mathieu Kassovitz sur l’affaire d’Ouvéa pendant la campagne présidentielle française de 1988, font aussi partie du menu relevé de ce festival encore jeune qui s’est ouvert sur le très bon De rouille et d’os de Jacques Audiard, auquel Séquences consacre la couverture de son numéro 281.
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