9 mai 2013
En hommage à Ray Harryhausen, mort cette semaine, et qui fut une personnalité majeure de l’histoire des effets spéciaux, nous vous proposons le texte de l’entrevue qu’il accorda à Séquences (nº 239 > Septembre-Octobre 2005, p. 22-25), lors de sa venue à Fantasia à l’été 2005.
La Cinémathèque québécoise http://www.cinematheque.qc.ca/fr/secrets-et-illusions-la-magie-des-effets-speciaux?date=2013-05-08 consacre d’ailleurs à cette discipline sa nouvelle exposition permanente.
>> Luc Chaput
Rares sont les personnes qui ont été à l’origine d’autant de vocations que Ray Harryhausen. Source intarissable d’émerveillement, ses films continuent, au gré de leur sortie en DVD, de susciter notre admiration, voire une dévotion inconditionnelle. De la préhistoire à la mythologie grecque, en passant par Les Mille et Une Nuits, les créatures et les images de Harryhausen comptent parmi les plus beaux et poétiques tableaux de l’histoire du cinéma. Invité à Montréal par le fps magazine dans le cadre du festival Fantasia, M. Harryhausen a eu droit à un accueil chaleureux et enthousiaste de tous ses fans lors de la projection de son œuvre maîtresse : Jason and the Argonauts (Jason et les Argonautes)
>> Propos recueillis par Alain Vézina et Michel T. Prévost traduits de l’anglais par Alain Essiembre)
Willis O’Brien nous a donné en 1925 The Lost World (Le Monde perdu) ainsi que votre film favori, King Kong (1933). Pourriez-vous nous parler de votre travail à ses côtés lors de la production de Mighty Joe Young (1949) ?
Ce fut un réel plaisir de travailler avec Merian Cooper, qui a produit KONG ainsi que Schoedsack, le réalisateur, et Ruth Rose, la scénariste. Ce fut une merveilleuse expérience, mais qui s’est déroulée en plusieurs étapes. Le film allait se faire puis tout s’est arrêté. Il s’est passé plus d’un an avant que l’on obtienne le feu vert. O’Bie (O’Brien) et moi avons été laissés à nous-mêmes, pendant que nous travaillions à sa préparation. Je savais comment il pensait et nous n’avions pas besoin d’échanger beaucoup pendant le tournage, car je savais ce qu’il avait en tête grâce à ses petits croquis. Nous avons eu de nombreuses conversations à cette époque.
C’était donc une véritable collaboration ?
En fait, je n’irais pas jusqu’à dire une collaboration, c’était son film et j’étais son assistant.
Quelle proportion du film avez-vous éventuellement animée ?
J’en ai animé plus de 90 pour cent.
Une des choses qui distinguent votre travail est la qualité du jeu que nous pouvons observer dans vos animations.
En réalité, c’est dû au développement du personnage. Je croyais que Joe (le gorille géant de Mighty Joe Young) se devait d’avoir une personnalité, car il était présent à travers tout le film Et c’est là la différence entre une production qui de toute évidence un film de marionnettes et un de nos films. Bien que nous utilisions la même technique de base qu’est l’animation image par image (stop-motion), nos personnages ne sont pas en principe des marionnettes, alors qu’une marionnette stylisée renvoie de toute évidence à un film de marionnettes. Lorsque je travaille, je connais les grandes lignes de la scène, mais l’interprétation se précise au fur et à mesure que progresse l’animation. Une pose mène à la suivante.
Pendant un certain temps, vous avez étudié peur devenir acteur.
Oh oui, j’ai pensé, comme bien des jeunes, que j’aimerais monter sur scène. Je suis donc allé au Los Angeles City College. J’y ai suivi des cours d’art dramatique, mais seulement pendant un an. Mais je joue à travers mes marionnettes, vous savez, alors ce ne fut pas une perte de temps. Cela m’a appris à jouer avec les acteurs en chair et en os dans un film. Alors ce fut un bienfait insoupçonné.
Il y a de la personnalité, du caractère dans la façon dont vos créatures bougent.
Tout ceci se ramène à l’observation. Lorsque j’ai fait en 1955 It Came From Beneath the Sea (Le monstre vient de la mer), je me suis rendu à l’aquarium pour y observer des pieuvres. Cela m’a servi de guide, mais en animation, nous ne pouvons pas copier simplement le mouvement. Lorsqu’en 1949 nous avons tourné Mighty Joe Young (Monsieur Joe), nous avons envoyé quelqu’un équipé d’une caméra 16 mm pour filmer le gorille du zoo de Chicago. Lorsque nous avons regardé le film, le gorille a simplement traversé l’écran pour s’asseoir et puis s’est mis les doigts dans le nez. C’était totalement inutilisable! Mais cela m’a au moins fourni une indication sur la façon dont bouge un gorille, et j’ai tenté d’en insuffler l’essence dans Mighty Joe. Et je lui ai donné sa propre personnalité. Par exemple, quand il se met en colère, il martèle le sol. Ceci lui donnait une personnalité distincte lorsqu’il était réellement furieux.
Vous avez donné vie à votre premier dinosaure au grand écran avec le film de 1953 The Beast from 20,000 Fathoms (Le Monstre des temps perdus). Son succès a inspiré la création de Godzilla (1954).
Mais ils ont utilisé un type dans un costume (rires). Je désapprouve cette approche. C’est la solution facile. Lorsqu’en 1940, ils ont produit le premier film, One Million B.C. (Tumak, fils de la jungle), ils ont mis un homme dans un costume de tyrannosaure. Il ressemblait à un rescapé d’un bal costumé ! Un enfant de cinq ans sait que ce n’est pas un dinosaure ! Mais en 1964 j’ai dû utiliser des enfants portant des costumes pour First Men in the Moon (Les Premiers hommes dans la lune), à cause de la multitude de personnages. Je serais encore occupé à filmer l’animation de ce film si je ne m’étais pas résigné à utiliser des enfants costumés. Il y en avait tellement ! Donc, je dus m’y soumettre, tout en désapprouvant, fondamentalement. Mais le tout a plutôt bien réussi.
Pour la plupart de vos films, vous utilisiez des illustrations pour aider à visualiser les séquences d’animation.
Ces illustrations avaient plusieurs buts. Elles aidaient à vendre le film aux financiers qui sont craintifs quelquefois, car ils doivent dépendre de quelqu’un qui connaît étroitement ce genre de technique, plutôt que d’une personne qui peut être congédiée et remplacée au pied levé. Elles facilitaient la vente du film. Je dessinais aussi quelque 400 petits croquis de continuité pour chaque séquence sur laquelle je travaillais. Ils étaient intégrés au scénario afin de permettre aux acteurs de savoir qu’à un certain moment, ils allaient voir ce genre de créature.
Est-il vrai que votre producteur est allé jusqu’à prendre une assurance pour vous et vos mains ?
Oh, j’étais assuré. Peut-être pas comme les jambes de Betty Grable, mais oui, j’ai aujourd’hui été assuré à plusieurs reprises. Mais j’étais très modeste à cette époque. J’ai. mis 50 ans à réaliser que le mot « modestie » est une obscénité à Hollywood. Lors de la production du film Le Monstre des temps perdus, j’ai travaillé avec le scénariste à l’élaboration du scénario mais je n’en ai jamais exigé la mention au générique. Je n’ai revendiqué de titre que pour mon travail d’animateur Mais vous ne pouvez aller dans le sens contraire. Si vous versez dans la surenchère d’égotisme, vous allez offenser beaucoup de gens.
Avez-vous travaillé en étroite collaboration avec les réalisateurs ?
Nos films n’étaient pas des films de réalisateurs, au sens européen du terme, parce que la tâche principale du réalisateur dans nos films est de tirer des acteurs le meilleur d’eux-mêmes. Quelquefois, ils réussissent; parfois, ils échouent… J’aurais aimé réaliser un film, mais je sentais que je me serais un peu trop éparpillé. Puis je me suis lassé de détruire des villes. Cela devient fastidieux. Alors j’ai songé à trouver une nouvelle avenue et c’est à ce moment que j’ai découvert SINBAD. Nous pouvons croire que Sinbad peut combattre un squelette de façon dramatique, mais si James Bond en affrontait un, ce serait simplement comique.
Lorsque vous avez travaillé sur ces films, vous aviez un contrôle presque total sur les séquences d’effets visuels. En comparaison, certains réalisateurs contemporains (tel George Lucas) supervisent étroitement chaque cadre d’effets visuels de leurs films. Auriez-vous été en mesure de travailler avec un réalisateur de cette façon ?
Je ne pense pas que j’aurais pu travailler ainsi parce que mon domaine est plutôt particulier. Il (Lucas) utilise beaucoup d’imagerie numérique, ce qui permet de retravailler et de parfaire les images. Pratiquement tout ce que vous voyez dans nos films, je dirais 95 pour cent, provient de la première prise. Nous n’avons jamais eu le temps nécessaire pour les peaufiner en reprenant les séquences à plusieurs reprises. Même avec Mighty Joe Young, la majeure partie de l’animation a été réalisée dès la première prise. Et c’est en reprenant les prises que vous gaspillez de l’argent et faites gonfler le budget. Mais de nos jours, ils ont le fric, alors peut-on vraiment les blâmer?
Ils doivent apprécier la latitude qui en découle.
En effet, vous avez de la latitude, mais dans un contexte de production industrielle, alors que la nôtre était artisanale. Je reçois beaucoup de courrier de fans disant préférer notre technique à l’imagerie parce qu’elle possède une âme.
Vous avez travaillé avec le même producteur, Charles Schneer, pendant près de 30 ans. Cela semble maintenant avoir été une relation à la fois inhabituelle et très productive.
Oui, en effet. J’en suis reconnaissant. Il me respectait et me laissait la liberté de faire ce que je désirais. Nous avions toujours des réunions où nous apportions nos contributions respectives au scénariste pour modifier le récit. Chaque fois que le scénariste avait rédigé dix pages, nous avions une rencontre. Alors il s’agissait d’une collaboration entre Charles, le scénariste et moi. De nouvelles idées émanaient de nos suggestions. C’est ainsi qu’étaient créés les textes. Quelquefois, nous avions deux ou trois scénaristes, mais un seul était reconnu au générique. Alors, vu sous cet angle, c’était une tâche d’équipe mais non un travail industrialisé comme l’est l’imagerie numérique.
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