18 novembre 2013
À une époque où en Espagne l’honneur autant familial que personnel est une question de vie et de mort, Rodrigue et Chimène ont l’intention de se marier. Mais le père de Rodrigue, Don Diègue, se retrouve dans une querelle avec Don Gomès, le père de Chimène. Un soufflet (gifle) infligé par Don Gomès à Don Diègue sera la cause de la discorde.
Le grand mérite du jeune metteur en scène Daniel Paquette est d’être resté fidèle au classicisme de l’œuvre de Corneille, ne cédant pas aux dangers de la modernité qui risque parfois de se trouver dans des voies de garage qui sont, la plupart du temps, impossible à contourner. Tant dans les costumes, les décors et l’interprétation, nous entreprenons un voyage à travers le temps, dans un siècle où l’honneur est une affaire de conscience et de morale.
Avec un sens de l’économie, Anne-Marie Mateau a créé un ambiance oscillant harmonieusement entre les splendeurs de l’Espagne d’alors et l’exotisme maure, influence incontournable. La scène occupe toute son espace horizontal pour offrir un spectacle sublime où les personnages jouent un drame sur l’honneur bafoué avec tout ce que l’époque implique. On attend le fameux monologue « ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! » avec impatience ; dommage que Jean Leclerc n’est pas mis plus d’emphase ; sa rage n’est, justement, pas assez perceptible. Il aurait fallu plus de nerfs, de conviction dans l’âme car c’est à partir de ce soliloque inoubliable et qui a traversé les siècles que les soubresauts du drame vont survenir.
Dans le rôle de Rodrigue, Carl Poliquin rend son personnage l’un des plus beaux du théâtre classique, naviguant adroitement entre le devoir de fils et l’amour qu’il porte à Chimène ; celle-ci renferme toute la quintessence de l’image familiale perdue. Lorsqu’elle se plie finalement et avec sens du devoir aux règles du pardon exigées par le roi, elle redevient l’amante et la future femme qu’elle a été avant le drame. Alain Fournier joue le rôle du roi avec une aisance bienvenue, mais le débit est parfois récitatif. Les autres comédiens s’en tirent avec tous les honneurs, heureux de se trouver devant ce qui constitue les fondements même du théâtre : le drame et la tragédie.
Mais il y a aussi la musique originale de Pierre-Marc Beaudoin, s’inspirant d’une Espagne prisonnière consentante d’un catholicisme exacerbé, mais dont les partitions musicales évoquent toutes ses contradictions et dans le même temps accueillent les sonorités mauresques, notamment d’Afrique du Nord, influences qui marqueront le terreau musical espagnol dans les siècles à venir. En effet, presque tout le long de la pièce, certains passages sont accompagnés de musiques de fond qui accentuent leur côté dramatique. La trame sonore est en fin de compte un heureux amalgame de sacré et de profane qui rend les personnages et le récit encore plus poignants.
Cette version du Cid de Corneille sera sans contredit l’un des plus forts et majestueux moments de la saison théâtrale du Théâtre Denise-Pelletier. Avec plus d’une quarantaine de productions à son actif, Daniel Paquette confirme son savoir approfondi, et surtout indéfectible, du théâtre classique.
DRAME | Auteur : Pierre Corneille – Mise en scène : Daniel Paquette – Décors : Anne-Marie Mateau / Prisme 3 – Éclairages : Michaël Fortin – Costumes / Perruques : Daniel Paquette – Musique : Pierre-Marc Beaudoin – Comédiens : Alain Fournier (Don Fernand, le Roi), Julie Gagné (Doña Urraque, l’infante), Jean Leclerc (Don Diègue, père de Rodrigue), Cédric Noël (Don Gomès, père de Chimène), Carl Poliquin (Rodrigue, le Cid), Lise Martin (Chimène), ainsi que Luca Asselin, Daniel Desparois, Anne Bédard et Chantal Dumoulin – Représentations : Jusqu’au 11 décembre 2013 – Théâtre Denise-Pelletier (Grande Salle)
COTE
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