4 décembre 2013
Propos recueillis par Sami Gnaba
Trois ans après un premier film prometteur (Belle Épine), « autiste » de son propre aveu, Rebecca Zlotowski revient avec un second opus plus ample, Grand Central, à travers lequel s’affirme toute l’intelligence, la sensibilité et la beauté plastique de son jeune cinéma! Présenté plus tôt cette année à Cannes, ce récit d’amour sur fond de centrale nucléaire a eu sa grande première montréalaise le mois dernier à Cinemania. Pour l’occasion, nous nous sommes entretenus avec sa jeune réalisatrice.
C’est facile pour vous de trouver des titres ? Ils ont quelque chose de beaudelairien (Belle Épine). On pourrait presque les confondre avec un titre d’une chanson pop (Grand Central).
Oui c’est vrai. Belle Épine ça portait une dimension un peu baroque, j’imaginais l’image d’une rose avec une goutte de sang sur la tige. Dans les deux cas, je suis très influencée par une certaine dimension baroque de l’amour : vénéneuse, empoisonnée…Généralement, le choix d’un titre s’impose soit toute de suite comme avec Belle Épine, soit que ça prend plus de temps pour ensuite revenir à l’évidence, à quelque chose de musical. Quand je cherchais un titre ça me tenait à cœur qu’il y ait ce jeu de mots autour de la signification du mot centrale. Parce qu’en français, une centrale signifie à la fois une prison et une centrale nucléaire. Et le fait que Grand Central soit aussi le titre d’une chanson que j’avais écrite pour une chanteuse pop française, l’évidence s’est imposée à moi. Ce titre m’appartenait, donc je pouvais le prendre. Après on justifie a posteriori. D’abord, ça sonnait bien. Ça fait comme un refrain. Et aussi ça ne me dérangeait pas que ça évoque la gare de New York, soit un lieu de croisement comme celui des travailleurs du nucléaire qui appartiennent à une communauté nomade, et qui voyagent beaucoup.
Cette communauté du nucléaire justement n’est pas quelque chose dont on parle fréquemment. C’est un monde qui à mes yeux on ne côtoie pas beaucoup au cinéma ‒ excepté les films d’espionnage à la James Bond‒, un peu comme celui de ces jeunes motards que vous filmiez dans Belle Épine. Comment vous est venue l’idée de travailler autour de ce décor ?
Ce n’est pas l’originalité du thème que je cherche, ce n’est pas une valeur très vertueuse pour moi. J’adore par exemple le cinéma de Jacques Doillon qui se passe pourtant toujours dans une chambre d’hôtel ou une maison de campagne…J’ai l’impression que son cinéma est plein d’invention et d’originalité, sans qu’il aille chercher un thème spectaculaire.
Plus qu’un décor, la centrale agit à titre de métaphore. C’est sa dimension poétique qui vous intéressait ?
D’abord, j’ai du plaisir à m’intéresser à ce qui m’est interdit d’habitude. En tant que jeune femme dans la trentaine, c’est un monde qui ne m’est pas facile d’accès et j’ai besoin du cinéma pour aller là. Aussi, comme vous dites, ce sont des lieux ultra-métaphoriques… Pour qu’il y ait un sujet pour moi, il faut qu’il existe une juxtaposition entre quelque chose de très personnel, de très intime ‒ le deuil d’une mère par exemple dans le cas de Belle Épine, ou un triangle amoureux très traditionnel dans Grand Central ‒ et un univers très étranger, très loin du mien. On raconte quelque chose de personnel sans le raconter trop frontalement, en le brouillant, le travestissant dans un monde de spectacle qui permettra au spectateur de se divertir, d’en prendre plein la vue. Après il faut aussi que ça résonne dans le contemporain, qu’on se demande « Qu’est-ce que ça raconte du monde dans lequel on vit aujourd’hui? ». Je crois que j’avais très souffert dans Belle Épine que le film soit autiste. Avec ce deuxième film j’avais le désir de rendre les clefs plus accessibles, puis de m’adresser à mon époque aussi. Même si ça a mauvaise presse aujourd’hui, je crois beaucoup dans la psychologie des personnages et je ne comprends pas pourquoi nous qui sommes faits de ça devrions la gommer au cinéma.
NB : Vous trouverez la suite de notre entretien dans le prochain numéro de Séquences.
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