7 février 2014
À première vue, tout de suite après la fin du spectacle, certaines pièces déconcertent, nous laissent pantois devant toute cette énergie consommée, autant sur la scène que dans la salle. Ce n’est qu’après mûre réflexion que notre regard se précise et provoque des idées objectives sur ce que nous avons vu. Car que l’on soit critique ou simple spectateur, qu’on le veuille ou pas, le différent nous agresse et nous pousse à remettre en question notre regard sur le concept de la création artistique.
Malgré la simplicité mais tout autant intelligence des dialogues, les écrits dramaturgiques d’Anton Tchekhov se construisent dans une sorte de croisement paradoxal entre l’apaisement et la fureur, montrant ainsi la vie, les humains, leurs contradictions, leurs effervescences, leurs peurs et angoisses. Mais il y a aussi une destinée, quelque chose difficile à saisir et qui finit par vaincre l’être malgré toute sa détermination à y résister.
La campagne, au bord d’un lac, tel est l’espace, en apparence idyllique, servant de lieu de rencontre à des personnages plus vrais que nature. Ils se croient tous artistes ou songent à le devenir. Le point commun : ils parlent d’art et le mêle à la vie ; mais il y a aussi l’amour, la peur de la solitude, l’envie de partager et ces appétits voraces de réussir. En somme, n’est-ce pas le théâtre social d’aujourd’hui ?
La mise en scène de Peter Hinton est moderne, ou plutôt devrions-nous dire « intemporelle ». On le voit dans ce mélange bizarre dans le choix des costumes, dans ce décor intentionnellement de pacotilles et qui, dans son artificialité, ne fait qu’épouser les sentiments excessifs et oscillants des personnages. Ce que Hinton a construit, c’est un univers particulier qui ressemble, dans le contenu, à celui de Tchekhov, mais qui demeure pendant les trois heures que dure le spectacle, un espace dramaturgique inventé de toutes pièces, mis en vibration plus qu’en scène. Les comédiens vibrent justement. Ils s’approprient le territoire scénique, presque à deux pas des spectateurs, eux, témoins du drame qui se joue.
C’est long, trop long, et c’est cette approche de la temporalité qui rend le spectacle aussi foudroyant. Nous devons sentir l’éternité que ressentent les protagonistes tchekhoviens, leurs souffrances et surtout leur délire. Il n’est pas donné à tout le monde de saisir totalement la démarche d’un Peter Hinton en plein délire, en totale possession de son moyen d’expression. Il faut de la patience et surtout et avant tout d’une certaine connaissance du théâtre et de ses nombreuses représentations de l’expérience humaine.
Les comédiens, tous habités par leurs personnages, transforment la scène en un espace de l’amour et de la cruauté, du désir et de son contraire, de la volupté et du déni. De ce lot, Patrick Costello atteint des limites d’émotion insoupçonnées. Passant adroitement d’un registre à l’autre, il injecte une dose de substance de pureté qui finit par sensibiliser les spectateurs.
Entre essai à la limite de l’expérimental et théâtre classique revu (voire même déconstruit) et corrigé, The Seagull (La Mouette) se plie aux exigences de l’artiste plutôt qu’aux attentes de la majorité des spectateurs. Il y a là une liberté d’expression donné aux auteurs qu’on ne peut nier. Ici, la prise de la parole quant au geste de la création devient, le temps d’une escapade en territoire inconnu , souveraine et triomphante.
DRAME | Auteur : Anton Tchekhov – Adaptation / Mise en scène : Peter Hinton – Décors / Costumes : Eo Sharp – Musique : Maxim Lepage – Éclairages : Robert Thomson – Interprétation : Krista Colosimo (Masha), Patrick Costello (Constantine), Shannon Currie (Nina), Diane D’Aquila (Sorina), Danielle Desormeaux (Polina), Marcel Jeannin (Trigorin), Patrick McManus (Dorn), Lucy Peacock (Arkadina), Michel Perron (Shamraev), Andrew Shaver (Medvenko) | Durée : 3 h 20 (incl. 1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 19 février 2014 – Centre Segal.
COTE
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