4 avril 2014
Les intentions du Philippe Ducros, auteur et metteur en scène, sont louables, voire même édifiantes et essentielles par les temps qui courent. Elles sont d’ordre social et politique et dans ce sens, elles se démarquent de la plupart des pièces proposées depuis quelque temps, plus axées sur les crises existentielles de l’individu, particulièrement dans le milieu du théâtre parallèle.
Ici, ce qui confirme l’originalité de l’écriture, c’est avant tout qu’elle émane d’un processus d’observation de l’individu à travers de nombreux voyages de l’auteur dans plusieurs régions affectées du monde (Proche-Orient, Bosnie, Palestine occupée, Israël, Inde..). Sur ce point, les prises de position politique de l’auteur sont évidentes, et libre à chacun d’y adhérer ou pas.
Avec Éden Motel, d’abord un roman fleuve de Philippe Ducros, l’adaptation théâtrale s’harmonise brillamment avec l’écrit en présentant une mise en situation marquée par des chapitres dont on suit la chronologie sur un écran en arrière-fond de la scène. Huit parties pour suivre l’itinéraire de quelques personnages perdus dans un no man’s land prenant la forme d’un motel de fortune au beau milieu de la route qui ne semble mener nulle part.
De ces laissés-pour-compte de la société, malgré les drames qui les épient sans cesse et qui paradoxalement les maintiennent en vie, émane une réflexion sur la condition humaine, sur cette Amérique qui n’a jamais exaucé le rêve de ceux qui s’y attendaient. Pour se consoler de la perte de l’Éden promis, l’individu s’en est pris aux antidépresseurs, au sexe accro et au suicide, à tel point qu’il a perdu contact avec la réalité.
La pièce de Ducros parle de l’Amérique, à laquelle, intelligemment, l’auteur inclut le Québec. Cet acte tout à fait politique situe notre territoire dans un terrain névralgique prêt à éclater. La mise en scène exploite ce thème en situant l’espace dans un décor minimaliste qui renvoie au néant. Car dans Éden Motel, tout est rien, sauf les heures et les jours qui passent.
Ducros s’entoure d’une faune bigarrée de comédiens qui croient fermement à l’entreprise, s’y donnent à cœur ouvert et le temps que dure la pièce, deviennent les anti-héros d’une certaine « Histoire de l’Amérique ». Mais dans toute sa richesse, sa beauté, son sens du rythme et de la transition, l’écriture de Ducros est d’un baroque consommé (et assumé), parfois énervant, désorientant, intransigeant, surprenant. Par moments, on a du mal à suivre ce qui se passe (et se dit). Les symboles fusent de partout, les métaphores su succèdent, les tournures de phrases s’accumulent, les sous-entendus s’imposent sans crier gare. Nous sommes en plein territoire inconnu.
Mais c’est également pour ces raisons que l’expérience théâtrale n’a jamais été aussi limpide et démagogiquement convaincante, prouvant également que l’art de la création est un acte de résistance politique qui ne peut se réaliser qu’en toute liberté.
La deuxième partie est prévue pour 2015.
DRAME EXISTENTIEL
Texte : Philippe Ducros – Mise en scène : Philippe Ducros – Scénographie : Max-Otto Fauteux – Costumes : Romain Fabre – Musique : Ludovic Bonnier – Éclairages : Thomas Godefroid – Vidéaste : Jérôme Delapierre – Chorégraphie : Line Nault – Comédiens : François Bernier, Larissa Corriveau, Guillaume Cyr, Sébastien Dodge, Michel Mongeau, Marie-Laurence Moreau, Dominique Quesnel, Sébastien René, Sasha Samar –Durée : 2 h 15 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 18 avril 2014 – Espace Libre.
COTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Remarquable. ★★★ Très bon. ★★ Bon. ★ Moyen. ☆ Mauvais. ☆☆ Nul … et aussi ½ — LES COTES REFLÈTENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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