25 avril 2014
Un home âgé, seul, se retrouve, environ soixante-dix ans après, sur les lieux ordinaires ou emblématiques d’une tragédie innommable. Claude Lanzmann inscrit ainsi le témoignage de Benjamin Murmelstein dans cet addendum à son chef d’œuvre de 1985, Shoah. Suite à la mainmise par les nazis des ghettos des zones envahies et occupées, la position de Doyen des juifs, qui devait composer avec les diktats de leurs geôliers, est devenue inconfortable et a été de diverses manières critiquée. C’est pourquoi Lanzmann emploie pour les désigner ce terme d’injuste en opposition à Justes pour ceux qui ont mérité par leur foi et leurs actions durant cette sombre période.
Benjamin Murmelstein, le dernier président du conseil juif du ghetto de Theresienstadt (Terezin), a été interviewé longuement en 1975 par Lanzmann lui-même, à Rome, où il vit en exil parce qu’on considère qu’il a démérité de sa patrie. Le personnage est rusé et réussit la plupart du temps à répondre aux questions inquisitrices du réalisateur, encore directeur aujourd’hui de la revue Les Temps Modernes. C’est donc à un magistral cours d’histoire sur la marche à l’extermination que nous mène ce couple improbable. Murmelstein recadre Eichmann loin de «la banalité du mal» d’Hannah Arendt en montrant qu’il était déjà un antisémite convaincu en 1938 lors des épisodes viennois et en le qualifiant plus tard de démon. Il justifie quelquefois difficilement certaines de ses actions comme membre du conseil puis comme président du dit ghetto en Tchécoslovaquie dont les Nazis avaient voulu faire une vitrine honteusement maquillée de leur traitement des Juifs et ce pour la Croix-Rouge et les dignitaires des pays neutres.
Le retour du réalisateur français, près de 30 ans après les entrevues sur les lieux de cette catastrophe, sert de contrepoint visuel aux questions et réponses. Toutefois la mise en images a un caractère répétitif à certains moments et Lanzmann, sous le coup certain de l’émotion, prend alors un ton plus grandiloquent. La dernière séquence du film, où Benjamin et Claude remontent une pente dans les ruines de la Rome antique, souligne bien le rapprochement entre ces deux hommes qui ont compris qu’ils avaient un caractère similaire. Ce long et foisonnant documentaire aura au moins servi à replacer, dans un éclairage plus complet, l’histoire de Theresienstadt et de cet homme encore contesté.
[ DOCUMENTAIRE ]
Origine : France / Autriche – Année : 2013 – Durée : 3 h 40 – Réal. : Claude Lanzmann – Dist./Contact : Cohen Media Group | Horaires/ Versions/Classement : Cinéma du Parc
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) ★ (Mauvais) 0 (Nul) 1/2 (Entre-cotes) / LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.