10 mai 2014
Vingt-deux ans après sa création, Les Aiguilles et l’Opium ne cesse de remettre en question l’utilisation de l’espace scénique, de se questionner sur la notion de mise en scène comme fondement de tous les actes de la performance, quelle que soit la discipline.
Revue au goût du jour, la version 2014 est un acte de foi, un geste artistiquement politique, une des plus belles propositions de l’année dans le domaine du théâtre. Avec Les Liaisons dangereuses de Serge Denoncourt, toujours au Duceppe, la pièce-culte de Robert Lepage demeure l’archétype de ce que le théâtre peut offrir comme possibilités. Sa résurrection, deux décennies plus tard, et d’autant plus pertinente qu’elle correspond à une époque où les espaces multimédias sont de plus en plus à la mode dans l’art de la création. Il n’est pas surprenant que Lepage se soit sans doute inspiré de sa tétralogie wagnerienne, véritable chef-d’œuvre de mise en scène dans le domaine de l’opéra, le plus grand moment du Met de New York en 2012.
Ici, la proposition est plus apte à la scène du TNM. Comme décor, au beau milieu de l’espace, un cube déployé sur trois faces, pivotant selon le récit dont il est question, plaçant les personnages dans une sorte d’environnement aérien qui laisse le spectateur captivé par l’émotion.
Il est question d’un récit autobiographique mené par un Marc Labrèche qui non seulement devient Lepage, mais imite même sa voix et son intonation. En fermant les yeux quelques secondes lorsqu’il s’exprime, on croirait entendre l’auteur lui-même. Sur le plan narratif, Paris est non seulement le berceau de l’existentialisme, mais également le lieu de prédilection du personnage central. La ville Lumière d’après-guerre, alors accueillante, devient un huis clos théâtral où des personnages qui ont pour nom Miles Davis, Juliette Gréco, Jean Cocteau, Jeanne Moreau et Louis Malle déambulent selon le moment grâce un arsenal scénique sophistiqué, hautement mis en évidence.
À côté de Labrèche, Wellesley Robertson interprète le rôle muet de Miles Davis avec une certaine sensualité tout à fait contenue. Lepage parle de plusieurs sujets : du Québec, d’une partie de son Histoire, de la France des années 50 et celle de la fin des années 80, de la post-synchronisation, de l’art, de la création, de lui-même, de son mal de vivre et de l’amour, notamment de la souffrance de ne plus être plus aimé.
Avec Les Aiguilles et l’Opium, l’auteur-metteur en scène se questionne sur son propre art, clamant tout haut qu’il est, nul doute, à la hauteur des artistes dont il parle. La douleur, le souvenir, le goût du risque et du différent, l’art d’aimer sans conditions, le génie sont les ingrédients qui unissent ces personnages, particulièrement dans le cas de Cocteau, de Davis et de Malle. Robert Lepage peut incontestablement se joindre à eux.
Et pour parler de la solitude, une proposition bouleversante comme conclusion à ce voyage dans le temps, image cosmique où l’être humain n’est qu’une infime partie dans la grandeur complexe de l’univers, perdu parmi les étoiles, cherchant éternellement, comme Lepage, le but ultime de son existence. Sublime !
[ DRAME EXISTENTIEL ]
Auteur : Robert Lepage – Mise en scène : Robert Lepage – Scénographie : Carl Fillion – Accessoires : Claudia Gendreau – Environnement sonore : Jean-Sébastien Côté – Éclairages : Bruno Matte – Costumes : François St-Aubin – Images : Lionel Arnould –– Comédiens : Robert Lepage, Wellesley Robertson III – Production : Ex Machina (et al.) | Durée : 1 h 40 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 31 mai 2014 (supplémentaires en juin) – Théâtre du nouveau monde.
MISE AUX POINTS
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