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Aimer, Boire et Chanter

27 juin 2014

LE RISQUE PAR ABC
Anne-Christine Loranger

En adaptant The Life of Riley, dernière création du britannique Alan Ayckbourn (2010), Alain Resnais (décédé le 1er mars dernier à l’âge de 91 ans) souhaitait réaliser un hommage au théâtre, au cinéma, à la bande dessinée et à la radio. Aimer, Boire et Chanter est un chant du cygne à son image, celle d’un homme inventif et joueur, aussi pénétré de la réalité de la mort que de la vaste comédie humaine.

À propos de la genèse de La Face cachée de la lune, Robert Lepage révélait que, insatisfait de ses précédentes adaptations théâtrales au cinéma, il avait réécrit sa pièce sous forme de roman. « La forme du cinéma, disait-il, est beaucoup plus proche du roman que du théâtre. » Adapter une pièce au cinéma peut en effet être risqué. Ce risque, Alain Resnais n’avait pas craint de le prendre en tournant Mélo (1986), tiré de la pièce d’Henri Bernstein, de même que Smoking/No smoking (1993) et Cœurs (2006), ses précédentes adaptations du Britannique Alan Ayckbourn. Aimer, Boire et Chanter est le dernier opus d’une œuvre protéiforme, éternellement réinventée, tendue entre sublime et frivolité, qui compte certains des films-phares du cinéma mondial tels Hiroshima mon amour (1959) et L’Année dernière à Marienbad (1961). Malgré son ton ludique, Aimer, Boire et Chanter est un film à risque, novateur, exigeant, justement prisé à la Berlinale du Prix Alfred-Bauer récompensant l’innovation au cinéma.

Grand amateur de bandes dessinées, le réalisateur a de plus demandé au bédéiste Blutch – lequel avait signé les affiches de ses trois derniers films – de créer des dessins permettant de faire la transition d’un lieu à l’autre. Le spectateur passe du jardin de Colin et Kathryn à celui de Monica et Siméon, ainsi qu’à celui de Tamara et Jack. On visitera aussi le jardin de George, un ami commun aux trois couples qui, on l’apprendra, n’a plus que quelques mois à vivre. Dans la grande tradition du théâtre, George – dont on parle tout le temps et dont les trois femmes tomberont (ou retomberont) amoureuses – restera le grand absent de l’histoire.

Dans Lettres à un jeune monteur, collage de lettres écrites par Henri Colpi, on retrouve un passage racontant la collaboration d’Henri Colpi et d’Alain Resnais : « Alain Resnais avait absolument tenu à être mon assistant-monteur sur un court-métrage (…) Nous inventâmes une forme de raccord particulière que nous baptisâmes « raccord léopard » à cause du bond que faisait sur l’écran le temps et l’espace au cours d’un simple raccord de mouvement. » Sept ans plus tard, Resnais utilisera nombre de « raccords léopards » dans Hiroshima mon amour (Hitchcock fera de même dans North by Northwest, 1959). Tournant le dos au cinéma-vérité de la Nouvelle Vague, Resnais cherchait à redéfinir les notions d’espace et de temps, et à les situer davantage dans la conscience intime et l’imaginaire de ses personnages.

Texte complet : Séquences (nº 291, p. 41-43, suivi d’une analyse de Smoking/No Smoking, p. 44-45)

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