3 septembre 2014
En quelques mots
Texte : Anne-Christine Loranger
Cote : ★★★★ 1/2
En adaptant Life of Riley, dernière création du britannique Alan Ayckbourn, Alain Resnais souhaitait réaliser un hommage au théâtre, au cinéma, à la bande dessinée et à la radio. Aimer, Boire et Chanter est un chant du cygne à son image, celle d’un homme inventif et joueur, aussi pénétré de la réalité de la mort que de la vaste comédie humaine.
Resnais, avec ce dernier opus, c’est justement de forcer la métaphore tout en utilisant une caméra qui filme du point de vue de la taupe, c’est-à-dire d’une espionne, d’une voyeuse, qui explore les basses-fosses des êtres, creusant des galeries inconscientes entre des personnages, et reliant, de ce fait, ceux que la vie a séparés. Ce risque cinématographique immense, à la mise en scène touchant au sublime – impliquant George, personnage qui se meurt entouré de ses amis et de son ex-femme –, est tourné par un réalisateur filmant, à quelques mois de son propre décès, ses acteurs fétiches… incluant sa femme, Sabine Azéma ! Que l’avant-première d’Aimer, Boire et Chanter ait eu lieu le jour même des obsèques de Resnais tiendrait presque lieu de prescience, si ce n’était que la mort est omniprésente dans son cinéma, depuis Nuit et Brouillard, premier documentaire de référence sur les camps de concentration, jusqu’à Vous n’avez encore rien vu, en passant par Hiroshima mon amouret L’Amour à mort.
La facture d’Aimer, Boire et chanter ressemble fortement à celle de Smoking/No smoking, sans en avoir la perfection formelle. Au contraire, scènes et personnages se heurteront d’abord dans un chamboulement ludique jusqu’à ce que tout bascule. L’effet « léopard », ici, se manifeste au niveau du saut quantique que doit effectuer le spectateur pour embarquer dans l’histoire, en dépit de ses artifices. Resnais pousse ici la métaphore à des sommets comme s’il était lui-même la taupe, se pointant le bout du nez et nous lançant dans un drôle de petit cri rauque : « Oublie tes repères ! Oublie tes convenances ! Oublie tes balises ! Viens jouer ! »
Tel Theo Angelopoulos, qui tournait sans le savoir son dernier film achevé avec Dust of Time et y avait recréé son décès, Resnais (qui travaillait déjà sur son prochain film) semble avoir mis sa propre mort en scène, au milieu de ses amis et de sa femme, nous laissant sur un clin d’œil et un sourire devenu éternel comme les petits personnages de Star Trek avec lesquels il faisaient ses pré-découpages. Pour Alain Resnais qui, jusqu’à son dernier souffle a toujours cherché à innover, le jeu, la vie et le cinéma était indissociablement liés. Il aurait pu intituler son film : Aimer, boire, chanter… et filmer !
Genre : Comédie dramatique | Origine :France – Année : 2013 – Durée : 1 h 48 – Réal. : Alain Resnais – Int. : Sabine Azéma, André Dussolier, Sandrine Kiberlain, Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz, Caroline Sihol – Dist. / Contact : A-Z Films | Horaires / Versions / Classement : Beaubien – Cineplex – Excentris
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) ★ (Mauvais) 1/2 (Entre-deux-cotes) – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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