9 octobre 2014
Pour tout texte classique qui se respecte, les adaptations modernes constituent un exercice périlleux, voire même ingrat si l’on ne tient pas compte des enjeux que cela implique. Car il s’agit de considérations d’ordre géographique, chronologique, de niveaux d’interprétation et de public cible qu’il faut savoir prendre en considération.
L’Andromaque de Racine est ici situé à l’heure de l’oligarchie que représentent les nouvelles technologies. Ce choix peut avoir un pouvoir de séduction dans une salle théâtrale de répertoire, là où l’acte dramaturgique est constamment déconstruit, remis en question et conserve son caractère militant et intentionnellement engagé. Hors, lorsqu’il est question de présenter ce spectacle à des élèves à qui on veut donner le goût du théâtre, l’adhésion voulue aura tendance à nous fausser compagnie, à s’éclipser sans que nous nous rendions vraiment compte. Ceci dit, le pari de Kristian Frédric est quand même quasiment gagné, présentant des voies multiples.
Côté scénographie, le bunker est une bonne idée, sorte de prison-refuge où les décisions d’ordre politiques et familiales se matérialisent (ou pas). Concrètement parlant, les va-et-vient des personnages se font avec une transition agréable et loin d’être perturbatrice. Cela nous aide à mieux apprécier le jeu des comédiens.
Pour savourer le caractère singulier et original de Denis Lavant, il faut avoir vu les films dans lesquels il a joué, particulièrement ceux de Leos Carax, là où sa personnalité de bête (au sens positif, bien entendu) de foire constitue un attrait en soi. Lavant est intuitif, exponentiel, on irait jusqu’à dire « monstre sacré ». La scène et l’écran sont pour lui un laboratoire expérimental où le jeu est une question de survie et de multiples embranchements. Lavant ose, s’aventure, s’implique et assume ses peurs, ses angoisses et ses erreurs avec une dérision déconcertante.
Dans Andromaque 10-43, le Pyrrhus de Lavant ne cabotine pas, mais au contraire se soumet à une joute entre son personnage et un récit porté par le mensonge, la trahison et la lutte pour le pouvoir. Par ailleurs, si l’Andromaque de Monica Budde brille par son aridité gestuelle, on peut l’interpréter comme une sorte de distanciation face aux événements. Sur ce point, c’est gagné. Au Québec, et surtout à Montréal, le public aime les personnages enflammées, qui s’extériorise sur scène, et la Hermione de Jeanne De Mont saura de quoi satisfaire l’auditoire. À chacune de ses présences, elle s’approprie son espace pour mieux le manipuler et sans doute l’amadouer. Les autres comédiens s’en tirent avec assurance, respectant un texte aussi complexe que perplexe.
On parle aussi arabe dans cet Andromaque, version 2.0. La Grèce a été remplacé par un Moyen-Orient qui ne cesse de se perdre dans ses conflits guerriers. Lutttes de territoires, de religion, fratricides. N’était-il pas ainsi dans la Grèce antique ?
Le texte de Racine, réimaginé, est sans doute une décision que l’on doit respecter, surtout si on a affaire avec l’exemple-type de théâtre indépendant dominé par ses approches de style déconstructif. Mais subjuger ce type de théâtre au service du pouvoir des nouvelles technologies est discutable.
Mais la grande question au sujet de cet Andromaque 10-43est de savoir s’il existe un rapport réél entre le pouvoir aride de la technologie et la force humaniste et spirituelle de la mythologie.
[ DRAME ]
Auteur : Jean Racine – Adaptation : Lionel Chiuch, François Douan, Kristian Frédric – Mise en scène : Kristian Frédric – Scénographie : Kristian Frédric Éclairages : Nicolas Descoteaux – Vidéo/Nouvelles technologies : Olivier Proulx – Son/Musique : Antoine Bataille– Costumes : Anne Bothuon – Effets spéciaux : Olivier Proulx – Comédiens : Monica Budde (Andromaque), Jeanne De Mont (Hermione), Frédéric Landenberg (Oreste), Denis Lavant (Pyrrhus, rois d’Épire), Maggie Proulx Lapierre (Astyanax) – Production : Cie Lézards Qui Bougent Les Hauts de Bayonne (France) / Théâtre du Grütli (Suisse) | Durée : 2h 30 (1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 24 octobre 2014 – Théâtre Denise-Pelletier (Grande Salle)
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Passable) ★ (Mauvais) 1/2 (Entre-cotes)
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.