18 décembre 2014
CRITIQUE
Texte : Élie Castiel
Cote : ★★★★
Après trois courts sujets entre 1993 et 2003, ainsi qu’un premier long métrage, Les Yeux bandés (2007), présenté la même année en Compétition mondiale des premières œuvres au Festival des films du monde de Montréal, Thomas Lilti se permet La Semaine de la critique à Cannes, le situant désormais, du moins on l’espère, dans le rang des cinéastes qui comptent. Parcours étrange pour un réalisateur qui navigue entre la médecine publique et les images en mouvement.
Il n’est donc pas étonnant de voir Hippocrate tourner autour du milieu de la santé. D’abord perçue comme une comédie, le nouveau film de Lilti est pourtant du domaine de l’enquête fictionalisée d’un espace social de plus en plus vilipendé dans la plupart des pays occidentaux. Ailleurs néanmoins, en prenant comme base de son scénario le livre écrit par un médecin grec (voir titre original du film, difficilement traduisible en français, ainsi que les expériences vécues par son frère, praticien dans un hôpital, le grec Sotiris Goritsas abordait le même sujet en 2011 avec un cynisme à la fois jouissif et intransigeant dans Welcome to “All Saints”(Ap’ Ta Kokala Vgalmena). Mais en dehors des festivals, le cinéma grec étant rarement vu à l’étranger, Hippocrate sert donc de fer de lance, une gifle en plein visage au désengagement financier des instances publiques dans le milieu hospitalier.
Loin de la comédie annoncée, Hippocrate est une incursion dramatique dans un milieu froid, distant, presque déshumanisant malgré les efforts louables de la plupart des employés. Le profit, les privilèges accordés, les conflits d’intérêts, le manque de soins adéquats, les erreurs de parcours, les contradictions, les gestes fatales devant l’impuissance, autant de mauts qui jettent un regard acerbe sur nos sociétés actuelles.
Par le biais de l’humour corrosif, pince-sans-rire et assassin, Lilti arrive à surmonter les obstacles d’un film, à la limite, hybride dans son écriture narrative, fougeux dans son rapport au plan, disséquant (et ce n’est pas un jeu de mots) autant les patients que la notion sensible de mise en scène. Celle-ci carbure au degré extrême de la déconnade, intentionnellement, comme pour se donner le temps et le droit de remuer et surtout de provoquer les consciences.
Sur ce point, le personnage de Benjamin (impeccable Vincent Lacoste) déploie un jeu où l’excitation des premiers jours cède la place au désarroi, à une prise de conscience dramatique sur les véritables enjeux de la profession. Et pour le comédien, un virage décapant après ses débuts dans la comédie. Son rival, un médecin Algérien (comme toujours, formidable Reda Kateb dans un rôle atypique) auquel on ne reconnaît pas totalement ses compétences acquises dans son pays, lui sert malgré tout de guide spirituel et lui enseigne finalement les réalités du métier.
Récit d’apprentissage, comédie grand public de par son sujet et critique d’une institution essentielle et sacrée parfaitement intégrée à la fiction, Hippocrate sort vainqueur de sa propre et saine vivisection, évitant dans le même temps les dérives et les redondances de l’apitoiement.
Genre : Chronique | Origine : France – Année : 2014 – Durée : 1 h 42 – Réal. : Thomas Lilti – Int. : Vincent Lacoste, Reda Kateb, Jacques Gamblin, Félix Moati, Marianne Denicourt, Philippe Rebbot – Dist. / Contact : FunFilm | Horaires / Versions Beaubien
CLASSIFICATION
Visa GÉNÉRAL (Déconseillé aux jeunes enfants)
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) ★ (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes) – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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