En salle

Sommeil d’hiver

15 janvier 2015

Semaine du 16 au 22 janvier 2015

LE FILM DE LA SEMAINE

Winter Sleep_En salle

PALME D’OR
Festival de Cannes 2014

Sortie : Vendredi 16 janvier 2015
V.o. : anglais ; turc
S.-t.a. – Winter Sleep
S.-t.f. – Kiş uykusu

Genre : Drame | Origine : Turquie / France / Allemagne – Année : 2014 – Durée : 3 h 17 – Réal. : Nuri Bilge Ceylan – Int. : Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbag, Ayberk Pekcan, Tamer Levent, Nejat Isler – Dist. / Contact : Métropole | Horaires / Versions  : Beaubien Cineplex Excentris

CLASSIFICATION
Visa GÉNÉRAL

APPRÉCIATION
CONFIDENCES EXISTENTIELLES
Élie Castiel
★★★★★

Après le Prix de la mise en scène pour l’intelligent Les Trois Singes et celui du Grand Prix pour Uzak et Il était une fois en Anatolie, tous les deux aussi remarquablement aboutis, Nuri Bilge Ceylan se permet, sans arrière-pensée, une Palme d’or hautement méritée. Avec ce nouveau et très long septième long métrage, toujours tourné en Anatolie, le cinéaste turc du rationnel utilise un espace géographique qui lui permet de philosopher autour de thèmes humanistes à hauteur d’individus : l’amour, le couple, l’envie, l’art et la vie, la responsabilité sociale, les rapports de classe.

L’influence de Theo Angelopoulos est palpable, non pas revendiquée, mais en forme d’hommage, comme si les deux cinéastes, le disparu, Grec, et Ceylan, le Turc, devaient unir leurs différents politiques en les substituant au pouvoir unificateur et purificateur de la création.

Mais chez Ceylan, le plan est celui autant de la confrontation que de la réconciliation. Intransigeant, intuitif, lucide, rebelle, d’une richesse intellectuelle inégalée, situant les personnages dans des espaces qui ne cessent de les redéfinir, tel se présente le réalisateur, totalement conquis par le cinéma comme moyen de signifier la vie.

Dans cet hôtel reculé au curieux nom d’Otello, qui renvoit à l’ex-profession du protagoniste principal, l’excellent Haluk Biliginer, n’est pas si loin après tout du Bruno Ganz de L’Éternité et un Jour, du Marcello Mastroianni de L’Apiculteur ou encore du Harvey Keitel du Regard d’Ulysse. Hommes en questionnement, en crise existentielle, en état d’hibernation temporaire, le temps que l’écriture ou une autre forme d’art ne les ramène à la réalité.

Sur ce point, la séquence de réconciliation entre Nihal (sublime et incandescente Melisa Sözeb) et Aydin (Bilginer) exprime l’émotion à l’état pur. Il s’agit ici de rapprocher l’art d’interprétation à l’objectif de la caméra. Jamais superposition ne fut aussi organique et superbement enrichissante pour l’œil et l’esprit.

De ces moments, et à l’instar du grand Ingmar Bergman, Sommeil d’hiver en accumule pendant ses plus de trois heures que dure ce bel ode à la langueur des sentiments. Mais à la froideur réconfortante du cinéaste suédois, Ceylan opte pour la chaleur ottomane. Film de gestes et surtout de paroles, Sommeil d’hiver est dans le même temps une apologie du temps qui passe et qui soumet l’individu à se réconcilier avec sa propre finitude. Le paradoxe du rachat (magnifique séquence lorsque Ismail, exceptionnel Nejat Işler, manipule l’argent selon ses propres convictions) et la notion de culpabilité détonnent dans ce fim d’un profond humanisme.

La mise en scène favorise la lenteur, sommant le spectateur à bien observer. Chaque plan, chaque geste, chaque parole prononcée, tous ces éléments ne sont pas en vain, mais font partie d’un structure précise dans l’art de la gestation. Chez Ceylan, les contraires s’animent, se croisent, s’identifient clairement et comme un geste de profonde humanité, tentent de se rapprocher pour simplement survivre, exister, être de ce monde.

En adaptant Tchekhov, Nuri Bilge Ceylan provoque l’épure malgré la longueur de son récit, mais c’est grâce aussi à la précision du montage, à la richesse des réparties qui n’ennuient pas un seul instant, aux rares moments de non-dits qui exhaltent leur absolue signification. Chez Ceylan, la lenteur subliminale n’est plus un choix, mais un concept qui s’affirme avec dignité et bénéficie d’une caméra qui le filme presque corporellement avec une justesse inégalée.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes) – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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