23 janvier 2015
Une partie de l’affiche du film d’Elia Kazan sorti en 1951 est collé au mur, au fond de la scène ; la partie exposée, une étreinte suggestive entre Vivian Leigh et Marlon Brando. Pour l’époque, quelque chose d’inédit.
Homme de théâtre indiscutablement hors du commun, Serge Denoncourt transforme l’écrit de Tennessee Williams en un tour de force aussi infaillible que fragile, autant pour les personnages que pour les situations.
Mais chez « le metteur en scène de l’heure », l’acte théâtral est un lieu de revendications, de réappropriation, de remise en perspective. C’est un espace où les fantasmes s’extériorisent, où la pureté des écrits originaux peuvent être assujettis à des transformations excessives. C’est ce que confirme cette adaptation d’Un tramway nommé Désir, œuvre torride d’un des auteurs dramatiques américains des plus controversés.
En 2015, on peut se permettre d’élucider les affaires du sexe (voire même homosexualité latente du personnage principal masculin) sous-jacentes au texte de Williams. Denoncourt s’en empare pour effectuer desavatars qui ont pour noms désir, volupté, sexe, transgression, vice et vertu, douleur et extase. Les scènes de nudité sont nombreuses. La masturbation, qu’il s’agisse de l’homme ou de la femme, n’est plus une action intime réservée aux initiés.
La sexualité vue par Serge Denoncourt se démocratise, et bien plus, s’offre le luxe de s’exprimer comme bon lui semble. Aucun compromis avec les spectateurs, seul compte la franchise de l’acte transgressif, la pureté de la vérité, le caractère ludique de l’entreprise.
Un humour singulier rempli de mélancolie, de déprime et de chagrin traverse la scène, nous laissant constamment happés par l’émotion et l’excitation de nos sens. Les fantasmes remplissent le conscient des spectateurs, éblouis par une mise en scène totalement libérée de toutes contraintes.
Petit à petit, sans crier gare, le metteur en scène traverse l’esprit de l’auditoire pour lui inculquer une idée de ce que peut être le théâtre, de ce que l’espace dramaturgique peut contenir d’interdits. Mais ce qui frappe d’autant plus, c’est le mouvement des comédiens ; le territoire qu’ils occupent n’est plus une entité abstraite, mais essentiellement un endroit où exister. On se parle, on rit, on se bat, on baise, on se cajole le sexe, on prend des bains dans toute sa nudité. La femme s’expose. L’homme autant plus.
La proposition de Denoncourt est d’autant plus rebelle et engagée qu’elle soumet le théâtre québécois à une sorte d’introspection salutaire. Ça parle la langue d’ici, le québécois, pur, sans-gêne, promis à une exploration du sexe dans ce qu’il possède de plus primaire et d’animal. C’est grossier et pudique en même temps ; taciturne et enjoué ; provocateur et réconciliant.
Céline Bonnier est Blanche, incandescente, timorée et insouciante, sexuelle et transformée. Elle est entourée de Dany Boudreault, Magalie Lépine-Blondeau, Jean-Moïse Martin et Éric Robidoux, tous exceptionnels. En implantant un personnage dans la pièce, Denoncourt valide encore plus sa version. Sorte d’alter ego de Tennesse Williams (Boudreault) qui ne fait que situer sa pièce dans sa plus perceptible signification.
La vidéo expérimentale de Gabriel Coutu-Dumont navigue autour des murs de la scène avec un souci de transcender le quotidien, de rendre cette adaptation aussi personnelle qu’urgente. Certains trouveront chez Denoncourt une sorte de snobisme intellectuel intransigeant. Sans doute, et pourquoi pas, mais également bercé par une insatiable et farouche envie de théâtraliser le moment. Et comme point de référence, adapter l’œuvre de Tennessee Williams dans ce qu’elle a de plus sacré. Le cœur a sans doute ses raisons, mais chez Denoncourt, c’est le sexe qui l’habite, dans son sens le plus articulé.
DRAME PSYCHOLOGIQUE
Auteur : Tennesee Williams – Traduction : Paul Lefebvre – Mise en scène : Serge Denoncourt – Décors / Accessoires : Julie Measroch – Éclairages : Martin Labrecque – Musique : Nicolas Basque – Vidéo : Gabriel Coutu-Dumont – Costumes : Pierre-Guy Laponte – Comédiens : Céline Bonnier (Blanche), Éric Robidoux (Stanley), Magalie Lépine-Blondeau (Stella), Jean-Moïse Martin (Mitc), Dany Boudreault (alter ego de Tennessee Williams) | Durée : 2 h 45 approx. (incl. 1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 14 février 2014 – Supplémentaires : 1er et 8 février 2015 – Espace Go
Interdit aux moins de 16 ans
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) ★ (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes)
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.