25 janvier 2015
La nouvelle production de l’Opéra de Montréal compte tout d’abord sur la notoriété des deux principaux personnages, Samson et Dalila, protagonistes d’un récit mythique où les espérances d’un peuple se heurtent au pouvoir de la politique et aux touments de la chair, tel un étau qui se resserre.
Récit légendaire qui trouve ici des échos des trois religions monothéistes et en quelque sorte le déshébraisent. Cela est clair, particulièrement dans la conception scénique telle que proposée par Anick La Bissonière et Éric Olivier Lacroix : le vert domine parfois, évoquant un islam relativement triomphant, les décors en formes de croix au troisième acte convoquent la notion d’une présence annonciatrice chrétienne ; une des robes que porte Dalida est, étrangement, d’inspiration bollywoodienne (orientale donc). À bien y observer, ces particularités ne véhiculent-elles pas un parti pris moral, voir même politique ? Par les temps qui courent, cela ne peut qu’interroger notre inconscient collectif.
La notion d’hébraité n’est donc présente que dans les paroles telles que créés par Ferdinant Lemaire au milieu des années 1800, d’après Le Livre des Juges, chapitre XVI et dont la présente version de l’OdM respecte avec soin, avouons-le, tout en se permettant quelques omissions.
Les décors sont pourtant bien imposants, donnant aux spectateurs la possibilité d’en avoir pour leur argent. C’est un des rôles de l’opéra : miser sur les grands moyens. Bien entendu, certaines parties ne peuvent éviter de rappeler avec nostalgie le Samson and Delilah (Samson et Dalila)cinématographique de Cecil B. DeMille datant de 1949. Mais dans l’ensemble, nous sommes ici au royaume de l’art lyrique et la création de Saint-Saëns est là pour le prouver, à grands coups de musique fascinante pour l’esprit.
Autre façon d’aborder le mythe en le confrontant au chant, moyen romantique de saisir la passion et de la suspendre dans le temps, et pourquoi pas pour l’éternité. Sur ce point, la célèbre air Mon cœur s’ouvre à ta voix est l’un des plus fort moments de la soirée, prouvant jusqu’à point l’amour peut être véritable tant que dure l’étreinte, quitte à ce que la suite des événements prouvent le contraire.
Sur le plan musical, on aurait aimé un rythme plus rapide, plus alerte, prouvant que les airs classiques peuvent être accessibles à tous. Mais Zeitouni s’en tire tout de même avec aplomb.
Mais le Samson et Dalila de Saint-Saëns et un également un essai passionnant sur les paradoxes de toutes ces oppositions que sont amour/haine, esclavage/liberté, foi/interrogation, pouvoir/soumission.
Si la musique possède des tonalités rigoureuses, mais tout autant grandioses, la mise en situation d’Alain Gauthier est plutôt timide, dirigeant les chanteurs-comédiens en leur imposant des gestes presque immobiles, comme s’il s’agissait de plans fixes pris à partir d’un grand tableau de maître. Le concept est intéressant, mais peut nous faire sombrer parfois dans l’ennui.. Quant à l’insert vidéo, subtilement érotique, il demeure très accueillant pour l’œil, mais n’ajoute rien à la narration.
N’empêche que le Samson et Dalila de l’OdM bénéficie de la présence d’un Endrik Wottrich au charisme puissamment émouvant et d’une Marie-Nicole Lemieux dans un rôle qui sans doute la place dans la panthéon des interprètes lyriques québécoises, même si parfois elle manque d’intensité. À sa façon, vraie, possédant la scène.
DRAME BIBLIQUE
SAMSON AND DELILAH | Compositeur : Camille Saint-Saëns – Livret : Ferdinant Lemaire, d’après Le Livre des Juges Chapitre XVI – Mise en scène : Alain Gauthier – Direction musicale : Jean-Marie Zeitouni / Orchestre symphonique de Montréal et Chœur de l’Opéra de Montréal – Décors : Anick La Bisonnière, Éric Olivier Lacroix – Costumes : Dominique Guindon – Éclairages : Éric W. Champoux – Vidéo : Circo de Bazuka – Chanteurs : Endrik Wottrich (Samson), Marie-Nicole Lemieux (Dalila), Gregory Dahl (Le grand prêtre), Philipp Kalmanovitch (Abimélech), Alain Coulombe (un vieillard hébreux), Aaron Sheppard (premier philistin), Christopher Dunham (second philistin), Pasquale D’Alessio (un messager) | Durée : 2 h 40 (incluant 2 entractes) | Prochaines représentations : mardi 27, jeudi 29 et samedi 31 janvier 2015, à 19 h 30 – V.o. : français ; Sur-titres français et anglais / Place des arts (Salle Wilfrid-Pelletier).
MISE AUX POINTS
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