4 février 2015
Si l’on en juge par le poids éloquent des mots, la psychologie incontestablement humaniste des réparties, la teneur vigoureuse du propos et la force des échanges entre deux êtres à la recherche d’une âme, la traduction de L’Effet Médée, de Suzie Bastien, par Nadine Desrochers, est un tour de force admirable.
Car The Medea Effect, dans sa version anglophone récente, appartient à ce genre de production intimiste qui convoque non seulement l’intelligence des spectateurs, mais un minimum de compréhension avec le sujet. La mise en scène d’Emma Tibaldo participe à cette rencontre inusitée entre une femme, Ada, en proie à un désir fou, presque narcissique, d’auditionner pour incarner la Médée d’Euripide, et Ugo, le metteur en scène, essayant de trouver l’interprète idéale et comme on le saura par la suite, en proie à ses propres démons intérieurs.
Mais ce qui commence comme une situation banale qui rappelle bien sûr les protagonistes de La Vénus à la fourrure (Venus in Furs), soit l’adaptation pour le théâtre de David Ives ou bien encore le film de Roman Polanski, se transforme bientôt en un échange qui se situe dans un monde à part. Ici, la confrontation s’imisce dans la gestation même du spectacle auquel on assiste. S’agit-il en fait d’une work in progress (œuvre en gestation) ? De l’étude psychanalytique d’une mère infanticide ? D’une part, Ada-Médée, proposant une mise en abyme de sa vie personnelle et du rôle qu’elle souhaite ; de l’autre, Ugo, pris par la bourrasque incompréhensible d’un acte inimaginable, prenant les traits de Jason, homme meurtri, dépossédé d’une descendance.
Entre Jennifer Morehouse, la comédienne, d’une énergie et d’une sensibilité à fleur de peau, et James Loye, véritable phénomène, comédien magistral, pourvu d’une prédisposition innée pour les gestes, les expressions du visage, la gestuelle tantôt animée, tantôt repliée sur elle-même. Entre les deux comédiens, une complicité et un jeu de pouvoir, une entente et un combat. Mais surtout et avant tout, une joute intellectuelle qui force le spectateur à participer cérébralement à cette guerre des sexes hors du commun.
Comprendre les motivations de Médée, c’est également comprendre la femme, ses craintes, ses douleurs, son dédain de la trahison. Chez Bastien, la confrontation n’est pas une lutte pour le pouvoir, mais plutôt la réalisation d’un statut, d’une condition féminine. Pour Ugo, issu de la mère, c’est la prise en charge de la terre nourricière. D’une part, côté Ada/Médée, un rapport à la vie métaphysique, presque du domaine du divin ; de l’autre, dans le cas de Ugo/Jason, un lien terre-à-terre avec l’existence.
La mise en scène de Tibaldo projette un minimalisme hautement conceptuel : un escabeau comme si les personnages, notamment Ada-Médée, s’apprêtait à rencontrer les dieux de l’Olympe ; une chaise avec un verre à la surface, à peine visible, servant de compromis avec la réalité ; une scène au niveau des spectateurs, pour mieux nous impliquer dans l’action ; un mur au fond de la sallle où, par moments, défilent des projections vidéo montrant des colonnes grecques pour évoquer Euripide et sa pièce, ou encore des nuages emportés ou des vagues tumultueuses d’une mer tourmentée, épousant le conflit qui se vit devant nous. Toutes ces propositions formelles contribuent à rendre The Medea Effect une œuvre essentielle de la dramaturgie contemporaine.
Mais en fin de compte, ce qu’il faut retenir de l’œuvre d’Euripide, n’est-il pas en fin de compte la lutte entre le pouvoir farouche des dieux et la volonté acharnée des hommes ?
DRAME
Auteur : Suzie Bastien – Traduction : Nadine Desrochers – Mise en scène : Emma Tibaldo – Décors : Lyne Paquette – Éclairages : Angeline St. Amour– Vidéo : Jean Ranger – Composition : Michael Leon – Costumes : Fruzsina Lanyi – Comédiens : Jennfier Morehouse (Ada), James Loye (Ugo) – Prod. : Talisman Theatre | Durée : 1 h 20 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 7 février 2015, à 20 h – Centre Segal (salle Studio)
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) ★ (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes)
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