24 février 2015
Samuel Beckett, c’est la dramaturgie qui correspond à l’aspect humaniste de la civilisation occidentale. Ses ascendances irlandaises le place également dans une situation de remise en question. Nul doute que son théâtre s’inscrive dans un courant socialement engagé, alors que l’illustre auteur voit en l’Homme (Anthropos) un sujet de prédilection pour son aventure théâtrale.
Catherine Frot, c’est l’actrice exceptionnelle qui, quel que soit le lieu où elle se trouve, dévore l’espace de création pour donner à son personnage une force extra-naturelle. Elle s’empare de chacune de ses partitions pour les dévorer, leur donner une aura de douceur et de générosité qui fait que tous autour d’elle brillent de ses échos lumineux.
Mais Oh les beaux jours s’est aussi une pièce minimaliste qui parle de la vie, de sa transcendance, de ses fantasmes, de ses illuminations avec un cynisme triomphant. Aucune tragédie comme les anciens Grecs le faisaient si royalement, aucun larmoiement, mais plutôt un dialogue serein et digne avec l’imagination, avec ce qui nous force à inventer pour survivre. Pour le TNM, la possibilité de présenter un solo féminin comme ce fut le cas au masculin avec le très regretté Patrice Chéreau. Et quoi de mieux que d’offrir à Frot le personnage de Winnie !
Homme de l’ombre et de la solitude, Beckett offre en fin de compte la lumière et une sorte de rédemption. Seule (ou presque) sur scène, enfouie dans ce qui ressemble à des sables mouvants qui l’engouffre à très petites doses, Winnie se parle, essaie de dialoguer avec Willie son mari, qui répond à peine (existe-t-il ?). Le monologue devient parfois momentanément cacophonique, pour ensuite laisser libre cours à l’imagination de Winnie.
Mise en abyme de la vie Oh les beaux jours est poème sur l’existence et sur la survie, sur cet instinct qui nous ronge quotidiennement pour nous permettre de continuer. Tous ces objets du quotidien que Winnie porte dans son sac et qu’elle utilise avec un amour inconditionnel, ce sont ces mêmes fragments de vie, parfois superficiels, qui nous aident à mieux exister.
Devant cet amas de terre qui l’enfonce de plus en plus, Catherine Frot n’est plus l’actrice qui bouge, qui s’exprime avec une gestuelle remarquable, qui joint le plaisir à l’agréable et le cynisme enchanteur aux bonnes manières. C’est ici la comédienne, seule sur scène, qui n’a que le concret avec quoi composer. Sur ce point, chapeau !, puisque le défi est de taille. Malgré quelques légères hésitations, quelques voraces envies d’aller plus loin, elle se résigne à rester sur place, sans broncher, ou presque.
Professionalisme inné, existentialisme théâtral, sens adorablement anarchique de la responsabilité, c’est de tout cela qu’est atteinte une Catherine Frot sincère, drôle et d’une expression de visage qui, même si suivie de la troisième rangée du balcon est assez radieuse pour imposer sa grandeur. Et qu’importe si le public québécois est réceptif, car en fait il l’est, et souvent même trop. Car pour Catherine Frot, son rêve d’être Winnie s’est finalement concrétisé.
Auteur : Samuel Beckett, traduction de Happy Days – Mise en scène : Marc Paquien – Décor : Gérard Didier – Éclairages :Dominique Bruguière – Costumes : Claire Risterucci – Comédiens : Catherine Frot (Winnie), Éric Frey (Willie) | Durée : 1 h 20 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 26 février 2015 – Théâtre du nouveau monde.
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) ★ (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes)
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