13 avril 2015
Tout d’abord, une précision. Contrairement à ce qui avait été annoncé, le Don Giovanni présenté au Cinéma du Parc n’était pas celui de l’Opéra de Paris, tel que prévu, mais plutôt tiré du Salzbourg Festival de 2014. Nette déception qui, néanmoins, ne nous a pas empêché de découvrir une mise en scène solide, enjouée, faisant du mythe donjuanesque une métaphore sur l’impossibilité du rapport amoureux.
Également mise en abyme de notre nouveau siècle, où l’individualisme généralisé se complait dans le plaisir immédiat et la multiplicité des rencontres. Mozart, l’avait-il déjà compris ? Quoi qu’il en soit, le metteur en scène Sven-Eric Bechtolf situe l’action dans une sorte de début du siècle dernier, alors qu’à l’instar de chaque commencent d’une nouvelle ère, les mœurs se libéralisent, les individus ne font qu’à leur tête et, mine de rien, succombent au désir des sens. Bechtolf invente un décor unique qui ressemble à un paquebot de plaisance, une sorte de Titanic sur scène où ce sont les âmes qui périssent au fur et à mesure que les événements se déroulent.
Et il y a, bien entendu, les fameux airs de Mozart, oscilant entre la comédie, sans doute miroir de l’indifférence, et les arias plus graves et insistants, comme la séquence fantomatique de confrontation, alors que ce qui ressemble à un châtiment des Cieux projette sur le spectateur une sensation à la fois d’inquiétude et d’auto-réflexion.
Dans un sens, le Don Giovanni de Salzbourg s’avère minimaliste, mais en même temps déploie des accessoires scéniques comme ces valises prêtes à entamer un voyage qui tarde à venir. Certes, nous n’avons pas assisté à la version de l’Opéra de Paris, apparemment plus aérée et contemporaine, mais une chose est certaine, l’autrichienne nous envoûte par la magnifique direction musicale de Christoph Eschenbach et les costumes de Marianne Glittenberg, particulièrement ce manteau en cuir de serpent porté par Don Giovanni (que portera aussi son valet Leporello dans un des moments forts de l’opéra, annonçant on ne peut plus ouvertement le dénouement).
En filigrane, la possible homosexualité farouchement occultée du héros de cette histoire se laisse deviner dans certains gestes, moments fugaces qui place Don Giovanni dans son rapport étroit avec l’art immortel du lien qui nous unit aux autres, toute orientation confondues.
Protégé par son atout reptile vénimeux et en même temps faussement docile, Don Giovanni se faufile à travers les corps et âmes de toutes les femnes de sa vie comme s’il se prenait comme un sacerdote de l’impossible amour.
Et tout cela est mené par des chanteurs jeunes, vigoureux, notamment Ildebrando D’Arcangelo, jouant de son charisme, de sa physicalité et de son tempérament comme si tous ces éléments de l’art de l’interprétation étaient essentiels pour accompagner la voix. Celle-ci, intrinsèquement sublime.
DON GIOVANNI — Dramma giocoso en deux actes | Compositeur : Wolfgang Amadeus Mozart – Livret : Lorenzo da Ponte – Mise en scène : Sven-Eric Bechtolf – Direction musicale : Christoph Eschenback – Chef/Chœur : Walter Zech – Décors : Rolf Glittenberg – Costumes : Marianne Glittenberg – Éclairages : Friedrich Rom – Chanteurs : Genia Kühmeier (Donna Anna), Anett Frisch (Donna Elvira), Valentina Nafornita (Zerlina), Ildebrando D’Arcangelo (Don Giovanni), Luc Pisaroni (Leporello), Andrew Staples (Don Ottavio), Tomasz Konieczny (Il commendatore), Alessio Arduini (Masetto) et les membres de l’Angelika Prokopp Sommerakademie de la Vienne Philarmonic / Chœur de Philarmonique de Vienne | Redifussion : jeudi 16 avril 2015 (Beaubien : 19 h, STF / Cinéma du Parc : 18 h, STA).
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ (Entre-deux-cotes)
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.