18 avril 2015
Comment aborder cette œuvre de Tom Stoppard, plus proche du théâtre de l’absurde à la Ionesco que toute autre proposition théâtrale ? Et lorsque la mise en scène adhère totalement (ou presque) au style du dramaturge, cela provoque des étincelles, certes fort originales, mais qui finissent parfois par nous destabiliser.
D’autant plus que nous avons affaire à des personnages cultes de la politique et de la culture occidentales, touchant à des disciplines aussi variées qu’intemporelles : le refus, dans toutes les domaines de la création, de la logique et de la raison (Tristan Tzara), la politique de la lutte des classes (Lénine) et la parabole littéraire (James Joyce). Lorsque ces érudits se rencontrent par le biais de la magie de la représentation, quelques soubresauts suffisent pour susciter l’adhésion du spectateur. Particulièrement ceux au courant du discours de ces penseurs.
Malgré son approche faussement accessible, Travesties (Parodies, en français) est un essai théâtral complexe, tant les mononologues et dialogues se heurtent à la normalité. Rythmes, tensions, gestuelles, corps physiques dans l’espace, les quelques rares silences, autant d’éléments de la mise en scène et de la dynamique théâtrale qui, mine de rien, se livrent à un processus de création dédaléen qui porte le simple nom de mise en scène.
Et lorsque le signataire d’un tel excercice intellectuel n’est nul autre que le jeune touche-à-tout Jacob Tierney, dont c’est ici sa première incursion dans le domaine du théâtre, on peut se permettre d’avoir des doutes et de se poser des questions sur le bien fondé de sa démarche. C ’est tout à fait normal lorsqu’il s’agit d’un néophyte quel que soit le domaine abordé.
Soyons indulgents.Tenant compte du caractère disproportionné du récit de Stoppard, force est de souligner que jeunesse aidant, Tierney se débrouille du mieux qu’il peut, mettant au service du théâtre tout un dispositif qui rompt avec les règles établies. C’est aussi grâce aux décors de Pierre-Étienne Locas, occupant de façon gigantesque et spectaculaire l’espace (mélange adroit de scénographie théâtre-antique-grec et adéquatement contemporaine), facilitant les déplacements avec une certaine frénésie. Mais c’est encore Tierney qui profite de tous ces matériaux isolés et qui, en fin de compte, se rapprochent les uns des autres avec, comme résultat, un hommage viscéral et volontairement impudique à ces trois grandes figures de l’Histoire.
Et puis, Henry Carr, un « consul britannique vieillissant», contemporain des trois érudits, vivant, comme eux, également à Zurich à l’époque représentée, au temps de la Première Guerre mondiale. Celui par qui les personnages prennent vie à travers les paroles du mensonge, de la vérité et de l’affabulation. Greg Ellwand s’investit agréablement bien dans ce personnage, mais outrepassant parfois les limites. À travers ses dires, Tzara prend le plus de place, ensuite James Joyce, tandis que Lénine se fait attendre pour ne livrer que très peu sur lui.
Mais peu importe, Travesties est une œuvre sensible, fortement surréaliste, voire même empreinte d’un doux accent de mélancolie que Jacob Tierney a réussi à intégrer avec un sincère équilibre grâce surtout aux extravagances insouciantes que peuvent se permettre ceux de son âge. Toutes ces lucidités passagères forment en quelque sorte une carte de visite prometteuse.
TRAVESTIES | Auteur : Tom Stoppard – Mise en scène : Jacob Tierney – Décors : Pierre-Étienne Locas – Éclairages : Nicholas Descoteaux – Costumes : Louise Bourret – Conception sonore : Dmitri Marine – Comédiens : Pierre Brault (Bennett), Anne Cassar (Gwendolen), Ellen David (Nadya), Greg Ellwand (Henry Carr), Chala Hunter (Cicily), Daniel Hunter (Vladimir Lénine), Martin Sims (Tristan Tzara), Jon Lachlan Stewart (James Joyce) | Durée : 2 h 15 approx. (+ 1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 3 mai 2015 – Centre Segal (Salle principale)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
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