19 juin 2016
Avant que ne débute la représentation, nous sommes conviés à un document vidéo de mise en perspective historique d’une quinzaine de minutes. Ce choix pédagogique était-il nécessaire ? Le très beau texte de Kathrine Kressmann Taylor suffit pour nous convaincre du bien fondé du projet ; le travestir d’un supplément diminue, à notre avis, son impact dramatique.
Pièce courte où deux âmes écorchées, anciens partenaires d’affaires, deviennent par la force des choses, ennemis, victimes de la folie des hommes, Inconnu à cette adresse trace leur parcours intellectuel et tragiquement humaniste par le biais d’une approche épistolaire sans concessions. Le fameux proverbe « Loin des yeux, loin du cœur » pourrait-il s’appliquer platoniquement à leur sujet ?
Si d’une part la mise en scène de Delphine de Malherbe est remplie de (très) bonnes intentions, force est de souligner qu’elle doit se plier à un texte, certes magnifique, intelligent, risqué et même rebelle, mais qui nous paraît non conçu pour la scène.
À mesure que les différences s’établissent entre les deux amis d’origine allemande, partenaires d’affaires en Amérique, les liens qui les unissaient se dénouent petit à petit, suivant une ligne tracée par l’Histoire. Max Eisenstein, le Juif, se sent obligé de commencer ses lettres en soulignant de gros traits le nom de son entreprise, comme s’il s’agissait d’insister sur ses origines. Pour sa part, Martin Schulze, Allemand retourné dans son pays et converti aux principes de la nouvelle idéologie hitlérienne, garde le ton froid et transforme son amitié, comme on peut s’y attendre, en confrontation.
Ce champ-contrechamp est assez singulier d’un point de vue de mise en scène et ouvre certainement de nouveaux horizons dans l’aventure théâtrale. Mais si la distance entre les deux partis est assez convaincante, plaçant chacun d’eux dans son propre univers et son espace mental et intrinsèque, nous pouvons cependant sentir un certain malaise inexplicable qui nous laisse froids, quasiment immunisés face à un dialogue terriblement littéraire qui n’arrive pas à transcender l’espace scénique.
Patrick Timsit, cinquante rôles au cinéma à son actif, habite le personnage, même si parfois, on sent de rapides écarts face (ou en biais) à Thierry Lhermitte, acteur aux multiples registres, plus calme et pondéré. En un peu plus d’une heure, deux personnages atteints du syndrome inévitable d’un conflit qui divise l’humanité, s’acharnent dans un face-à-face épistolaire d’une poignante véracité.
Malgré notre bonne volonté, sous sortons d’Inconnu à cette adresse remués par le propos, mais étrangement désorientés par un texte puissant, malencontreusment anti-théâtral. L’adaptation cinématographique selon une approche biographiquement fictionnelle nous aurait sans doute convaincu.
Texte : Kathrine Kressmann Taylor – Adaptation : Michèle Lévy-Bram – Mise en scène : Delphine de Malherbe – Assistante : Joëlle Benchimol – Éclairages : Marie-Hélène Pinon – Costumes : Élisabeth Tavernier – Conception sonore : Michel Winogradoff – Accessoires : Philippe Plancoulaine – Régie : Emmanuel Giroux – Comédiens : Thierry Lhermitte (Martin Schulze), Patrick Timsit (Max Eisenstein) – Production : Jean-Marc Dumontet, en accord avec Laurent Ruquier – Une présentation du Théâtre du Nouveau Monde et Juste pour rire Spectacles | Durée totale : 1 h 20 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 26 juin 2016 – TNM.
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
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