30 septembre 2016
En entamant le spectacle sur une musique du Carmen de Bizet, la chorégraphe espagnole María Pagés savait exactement ce qu’elle faisait : démystifier l’éternel féminin en le débarrassant de son côté sexiste, bien entendu selon le regard de l’homme.
D’où ce moment au cours du spectacle, lorsque la danseuse s’adresse aux spectateurs, expliquant sa démarche, seul bémol d’une soirée électrisante où le flamenco entre au XXIe siècle par la grande porte et réussit à séduire les plus indomptables. Était-ce nécessaire, nous l’avions compris, d’autant plus que le programme de la soirée est bien précis à ce sujet.
Si certains airs du célèbre opéra sont musicalement mis au goût du jour grâce au talent des musiciens d’un orchestre composé d’hommes et de deux chanteuses, le reste des partitions suivent la mise en mouvements d’une chorégraphe libre, à l’imaginaire engagé.
Car les danseuses, toutes sculpturales non seulement bougent comme des sirènes, mais aspirent aussi à la liberté d’être. Sensualité, volupté, plaisir d’exister, extase devant l’art de la danse, complicité avec le public. Tels sont les traits de ce Yo, Carmen totalement incarné, privilégiant la sensualité du regard et l’incandescence de l’esprit.
Musicalement, en dehors des quelques variations de Carmen, les chants et les diverses musiques évoquent un univers méditerranéen ou les rais de soleil latin et les chants arabes nous ramènent proche du Maghreb, là ou les influences judéo-musulmanes affichent leurs liens avec l’Espagne, ou vice-versa. Les voix discordantes des chanteuses évoquent les liturgies d’un temps pas si lointain où les prières sont une offrande aux dieux et aux mortels.
D’où également une référence poignante et sublimement magistrale au chœur grec, autre territoire méditerranéen aux multiples empreintes. À un moment, calme, fougue, entrain et mouvements lancinants s’expriment en même temps pour signifier l’authenticité du féminin et ses rapport au monde et à la vie.
Le titre du spectacle n’est donc pas anecdotique puisque Yo, Carmen (Moi, Carmen) est un poème chorégraphié dédié aux femmes du monde entier, mais également une leçon de morale et de comportement aux hommes de bonne volonté. C’est ce qu’on retire de ce spectacle magnifique, différent, et qui situe le flamenco dans des sphères chorégraphiques inattendues. La méditerranée est nul doute le berceau de la civilisation occidentale et María Pagés l’a très bien compris et surtout assimilé.
Le XXIe siècle apporte ses changements et ses transformations dans toutes les formes de l’expression artistique, mais l’esprit humain et les élans du cœur sont immuables. Pagés ne l’a pas oublié et nous le rappelle à travers la merveilleuse forme d’expression qu’est la danse.
YO, CARMEN | Chorégraphie : María Pagés – Danseuses : María Pagés, María Vega, Virginia Muñoz, María Gálvez, Nuria Martinez, Julia Gimeno, Sara Pérez – Chanteuses : Ana Ramón, Loreto de Diego – Musique : Georges Bizet, Sebastián Yaradier, Rubén Levaniegos, Sergio Menem, David Moñiz, María Pagés – Éclairages : Paul Fullana – Costumes : María Pagés – Plancher de danse : Harlequin Librertu | Durée : Environ 1 h 30 (sans entracte) – Représentations : 30 septembre et 1er octobre 2016 / 20 h – Place des Arts (Salle Wilfrid-Pelletier).
MISE AUX POINTS
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