20 octobre 2016
Présenté l’an dernier aux RIDM* lors desquels il avait obtenu une mention spéciale, Manoir est de ces visions du réel fabriquées dans la connivence et le long terme qui parviennent à transcender leur sujet en faisant reposer leur film sur une esthétique fictionnelle résolument à l’écart de la norme documentaire. Cadrages étudiés, caméra fixe, plans évocateurs et silences criants de vérité constituent les couleurs d’une palette cinématographique des plus riches, réduisant l’information factuelle au strict minimum pour mieux laisser respirer le propos.
Ce qu’il y a de fascinant dans Manoir, c’est la façon organique avec laquelle le spectateur est inclus d’emblée, invité à faire le tour du propriétaire par lui-même, sans être guidé outre mesure. On y découvre alors des gens meurtris, mais également une solidarité dans la détresse, des addictions et de la folie où les mondes imaginaires arrivent à la rescousse. L’un invoque le retour d’une ancienne blonde, l’autre roucoule du Elvis Presley pour se souvenir du bon vieux temps, un troisième s’est mis en tête de réparer son vieux bazou, synonyme de liberté autant que de fuite en avant. Les confidences d’un fatalisme qui fait froid dans le dos émergent, les blessures remontent, les moments de doute affleurent. Mais aussi, un lien bien réel se révèle, et tant bien que mal une véritable communauté autonome parvient à régir les comportements. Quelque chose comme une fratrie sereine soudée face aux problèmes personnels. Dans ce lieu figé dans le temps, situé dans la marge, toute notion de normalité disparaît.
Puis par l’entremise d’une pancarte posée sur la propriété montrée en cadrage serré nous apprenons que ce « manoir » est promis à démolition. Pas de voix hors champ, de commentaire ni de sous-titres. Placé au milieu du film, ce plan symbolique du drame qui se joue sous nos yeux caractérise l’épure, sans pathos ni sensationnalisme.
Comme tant d’autres services sociaux ou initiatives humaines que l’on aura sacrifiés à l’autel des profits immédiats, cette toile fragile sera prochainement chose du passé. C’est alors qu’avec évidence nous apparaît, outre notre condition de privilégié, notre société, aussi malade et meurtrie que ces quelques laissés-pour-compte pour qui l’on n’a rien trouvé de mieux comme hébergement qu’un motel abandonné. Pour Paul, Johnny, Philippe, Nathalie, Gilles et d’autres, il ne reste de la vie au Manoir Gaulin que des objets entassés dans quelques boîtes, et après eux, un centre commercial flambant neuf. Martin Fournier et Pier-Luc Latulippe étaient là pour capturer cet entre-deux. En plus d’être une réussite formelle indéniable, leur Manoir est une captivante immersion au plus creux du mal-être québécois.
* dans une version plus longue de 13 minutes semble-t-il.
Genre : DOCUMENTAIRE – Origine : Canada [Québec] – Année : 2014 – Durée : 1 h 10 – Réal. : Pierre-Luc Latulippe, Martin Fournier – Dist./Contact : Les Films Leitmotiv.
Horaires : @ Cinémathèque québécoise
CLASSEMENT
E/C
(Exempté de classement)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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