26 janvier 2017
RÉSUMÉ SUCCINCT
Sur le point de quitter Madrid pour de bon avec son amoureux, Julieta croise par hasard une amie d’enfance d’Antía, sa fille, qui lui apprend que cette dernière vit maintenant en Suisse avec ses trois enfants. Cette rencontre fortuite remue de douloureux souvenirs chez Julieta, sans nouvelles de sa fille depuis une douzaine d’années.
Pouvons-nous affirmer que Pedro Almodóvar se laisse désenchanter par le passage du temps, alors qu’enfant de la célèbre movida de l’Espagne post-franquiste, il nous a séduit autant par ses fantasmes outranciers (Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier / Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón que par le truculent La loi du désir / La ley del deseo), pour ensuite nous faire plaisir avec ses comédies de la maturité comme Femmes au bord de la crise de nerfs Mujeres al borde de un ataque de nervios et autres), des réalisations qui l’ont certainement conduit à parler des femmes avec sérieux? Ton qu’il adopte affectueusement à partir de Tout sur ma mère / Todo sobre mi madre et parfaitement avec Parle avec elle / Hable con ella.
Et puis, une pause inutile avec Les amants passagers / Los amantes pasajeros) pour revenir ensuite à ses portraits féminins, influences de Bergman et de Hitchcock, cinéastes qui l’ont bercé dans son adolescence. À partir de trois nouvelles, Chance, Soon et Silence, tirées du recueil Runaway (2004, McClleand and Steward et Knopf) de la canadienne Alice Munro, Pedro Almodóvar a construit une œuvre rigoureuse sur l’abandon, le rejet, les regrets et la rédemption. Le film repose aussi sur la notion de l’absence et sur ses complications. Dès la première séquence, un couple, surtout la femme, Julieta, s’adonne sans vraiment envie aux derniers préparatifs pour un voyage au Portugal avec son nouvel amant. Et puis, sans crier gare, elle lui annonce qu’elle ne partira pas avec lui.
La suite, un récit où le present et le passé se joignent dans une mise en scène aussi abstraite que sophistiquée. Par un tour de magie, Almodóvar oublie ou fait semblant d’oublier les écrits sur lesquels le film se base pour faire son propre cinema. Non, Pedro Almodóvar est toujours aussi vivant, aussi lucide, aussi motivé, si proche de ses personnages et notamment d’un style particulier qu’il affectionnne, essentiellement en laissant les plans, les gros plans et les transitions se compléter en tant qu’effets de styles.
Ils comptent bien entendu sur des comédiennes excellentes, vibrantes à chaque moment. Mais c’est dans leurs rapports de force ou de soumission qu’elles s’agitent, face à l’objectif de la caméra de Jean-Claude Larrieu (au générique, Jean-Claude Carrieu), dont on se souviendra de son bon travail dans Les femmes du 6e étage (2010) de Philippe Le Guay. Ici, son œil est indiscret, tenace, portant les protagonistes autant dans leurs démarches que dans leurs zones indécises, filme, selon les époques avec une emphase aux détails : couleur des murs, objets, tableaux, dont celui accroché au mur de l’appartement de Julieta, au présent, renvoit au déchirement intérieur du sujet et d’elle-même.
Et un autre acteur concret, le train, comme ceux du célèbre Alfred britannique, un train-lieu qui annonce des autres fictions, des autres réalités, des ailleurs inconcevables, sans doute des intrusions dans l’inconscient. Car c’est aussi de cela qu’est fait le cinéma articulé d’Almodóvar, un cinéma farouchement européen des vingt dernières années d’un 20e siècle conscient d’une certaine culture du vieux continent qui n’a jamais oublié ses reférences et ses correspondances aux analyses freudiennes.
Amant du mélodrame, le cinéaste ibérique ne renonce pas à aborder le thème de la culpabilité si cher au genre. Se sentir coupable de n’avoir pas parler à temps, de n’avoir pas parler du tout, d’avoir tout cacher, et finalement alors que l’âge nous surprend, il ne reste qu’à offrir au temps qu’il nous reste que de vivre ces moments de rachat. Et les hommes dans toutes ces histoires de femmes; essentiellement des présences concrètes, ne cachant rien, traversant le temps qui avance avec autant de douleur que d’exultation, réalistes, loin de toute considération d’ordre psychanalytique; bref, moins cinématographiques, mais utilement essentiels à la fiction. Julieta, un hommage vibrant au cinéma et à l’éternel féminin.
Genre : DRAME – Origine : Espagne – Année : 2015 – Durée : 1 h 40 – Réal. : Pedro Almodóvar – Int. : Adriana Ugarte, Emma Suarez, Daniel Grao, Dario Grandinetti, Inma Cuesta, Rossy de Palma – Dist./Contact : Métropole.
Horaires : @ Cinéma Beaubien – Cinéma du Parc – Cineplex
CLASSEMENT
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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