12 avril 2017
Le cinéma iranien continue son envol et s’enracine dans le monde cinématographique international. De par son rayonnement et sa vivacité à travers les festivals de films, il continue à bénéficier ainsi d’une belle plateforme dans les salles de cinémas étrangers. À Montréal, le Cinéma du Parc se démarque en nous permettant de connaître davantage des réalisateurs iraniens peu connus du grand public.
Avec son film Inversion (Varoonegi), Behnam Behzadi signe un troisième long métrage qui nous catapulte dans Téhéran et sa population plongée dans une forte pollution, dont les premières victimes sont aujourd’hui, et de plus en plus, les personnes âgées et les enfants en bas âge. Le film aborde cette problématique environnementale et ses conséquences à la fois d’ordre physiologique et social, en débutant dès le premier plan, sur les problèmes respiratoires de la mère de Niloufar (Sahar Dowlatshahi). Protagoniste principale, elle éprouve aussi des difficultés à respirer, mais moins à cause de la pollution climatique que par le poids des pesanteurs culturelles, doublées de ses obligations familiales. Contrainte à quitter son lieu de vie, son travail, ses rêves et ses ambitions, sous la pression familiale, Niloufar n’a plus d’autre choix que d’accompagner sa mère à vivre et à s’installer loin de cette pollution carnivore, à l’extérieur de la capitale, Téhéran.
Par ailleurs, Inversion s’interroge ainsi sur la place du choix individuel au sein de la société iranienne et à l’échelle familiale, au-delà ainsi des contraintes d’ordre politique et religieux imposées à la liberté individuelle sous le joug d’un État théocratique. Quelle est la marge de manœuvre, de construction de soi, de regard distancié sur sa destinée que peut vivre et éprouver une jeune femme iranienne d’aujourd’hui, à la fois éduquée, financièrement indépendante et célibataire ? Outre sa rébellion et son indignation par rapport aux décisions de ses frère et sœur aînés, elle doit se plier aux exigences du carcan familial traditionnel. Les échanges houleux au sein de la famille mettent en lumière le mécanisme bien classique de la culpabilisation familiale et la manipulation affective qui en découle. Partagée entre son amour inconditionnel pour sa mère et celui porté à un homme qu’elle vient de retrouver après des années d’absence, Niloufar est prise dans un conflit typique qui dépasse largement le cadre de la société iranienne : loyauté vis-à-vis de la tradition qui l’a produite ou désincarcération libérale pour une jeune femme membre d’une pensée libre d’attaches. Niloufar (qui se traduit par « nénuphar ») se fanera-t-elle sous le poids d’une atmosphère sans cesse plus irrespirable, non pas tant par une sauvage pollution téhéranaise que par l’effondrement de ses propres désirs, envies et projets de vie ?
Les processus de domination d’un être qui doit aligner son désir sur celui d’un autre, faire de sa carte personnelle le calque d’une autre carte, constituent un « invariant » de la condition humaine autant que les résistances qui s’y opposent. Niloufar n’y échappe pas au sein de son monde. Parviendra-t-elle à trancher le nœud gordien entre tradition nourricière et oppressive et ligne de fuite libérale mais corrosive vis-à-vis de ce qui l’a fabriquée comme être social, familial et culturel ? Ce dilemme qui a pour nom Modernité, versus croyances religieuses traditionnelles, n’est pas sans rappeler ce qu’il en fût au Québec et nul doute que bon nombre de spectateurs, âgés et/ou curieux y retrouveront les racines de ce qui fit leur révolution, certes socialement tranquille, mais pas si paisible pour les cheminements douloureux des existences individuelles.
Pour suivre la rétrospective du Cinéma iranien, consultez régulièrement le site du Cinéma du Parc.
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