20 avril 2017
Le cinéaste espagnol Nacho Vigalondo signe un film vraiment désarçonnant avec Colossal. Il alterne constamment entre deux ou trois genres en même temps, passant sans crier gare de la comédie de mœurs au film fantastique matiné de monstres « kaiju » à la sauce coréenne pour bifurquer inopinément vers le drame psychologique avec un bref détour vers les western spaghetti de Sergio Leone. Ceux qui ont eu la chance de voir ses films précédents dans le circuit des festivals, Timecrimes et Extraterrestre, savent que Vigalondo adore brouiller les cartes et insérer des éléments fantastiques dans ses récits. Avec Colossal, il parvient à les faire coexister dans le même univers tout en explorant les travers peu reluisants et les lacunes majeures des personnages. Il prend le temps nécessaire pour leur donner forme et consistance avant de faire de même avec les deux monstres qui s’en prennent à Séoul en Corée du Sud.
Le film s’ouvre sur une intrigue banale que l’on a vue des centaines de fois au cinéma et à la télévision américaine. Une jeune femme portant le prénom glorieux de Gloria se retrouve à la rue quand son copain Tim la chasse de son appartement parce qu’elle ne cesse de boire et de gâcher sa vie. Elle retourne dans la maison familiale inhabitée et refait sa vie avec un ami d’enfance, Oscar, qui l’a toujours aimée et qui lui offre un emploi dans son bar. C’est du moins ce qui nous attendrait s’il s’agissait d’un film standard, ce qui est loin d’être le cas. Les retrouvailles prennent une tournure malsaine quand Oscar laisse poindre le côté sombre de sa personnalité en essayant de dominer Gloria. Deux autres loques humaines, l’idiot de service et le junkie du coin, se greffent à cette famille reconstituée complètement disfonctionnelle. Quand Tim se présente, inquiet pour Gloria, l’affaire risque de franchement tourner au vinaigre. Et c’est dans cette déchéance qu’interviennent les monstres… colossaux.
Le premier monstre est apparu il y a 25 ans à Séoul et voilà qu’il sème à nouveau la terreur. Il ressemble à un croisement entre Godzilla et Gorgo (allez, un effort de mémoire!) et il mime exactement les mouvements de Gloria de l’autre côté de la Terre en Amérique, à précisément 8 h 05 le matin, dans le parc des enfants de l’école. Puis, un robot géant, une sorte de « Jaeger » comme dans Pacific Rim, sème à son tour la panique aux côtés de l’autre et il semble bien qu’Oscar en soit l’avatar (tant qu’à y être…). Pourquoi 8 h 05 le matin? Pourquoi dans ce parc? Pourquoi eux? Voilà qui relie directement le passé d’Oscar et de Gloria à un traumatisme commun dont les monstres seraient la manifestation. Jung se mélange à Freud dans ce symbolisme psychique. C’est à ce moment que le drame psychologique à la Shining intervient. Oscar devient carrément effrayant et il revient au talent de Jason Sudeikis de nous faire croire au changement progressif de son comportement. Tout un tour de force que de réussir à nous surprendre à chaque nouvelle bifurcation que prend ce personnage déçu de la vie et envieux de Gloria. Grâce à son charisme attendrissant. Anne Hataway parvient à engager notre sympathie pour cette femme déglinguée qui semble totalement dépourvue de volonté, mais qui réussit peu à peu à s’affirmer jusqu’à une entourloupe finale qui la rachète complètement.
Nacho Vigalondo adopte pour ces scènes du quotidien un style visuel très sobre, tout en retenu, les conversation étant filmées en champ/contrechamp presque comme dans un sitcom. Tout un contraste avec la démesure des scènes à Séoul avec les monstres gigantesques, les édifices qui s’écrasent et la foule qui hurle en essayant de leur échapper. Sauf que lors de l’affrontement crucial entre Oscar et Gloria, le cinéaste se met soudainement à les cadrer comme s’ils étaient eux-même devenus des monstres : échange de regards sur le divan à la Leone, contre-plongée en grand angle, ralenti, une bibliothèque qui s’apparente à un immeuble s’écroulant sur le monstre Oscar. Il s’agit vraiment d’une scène magistrale, qui nous prépare pour une finale désarmante, prenante et… monstrueuse.
Genre : Drame fantastique – Origine : Espagne / Canada – Année : 2016 – Durée : 1 h 49 – Réal. : Nacho Vigalondo – Int. : Anne Hathaway, Jason Sudeikis, Dan Stevens, Tim Blake Nelson, Austin Stowell, Agam Darshi – Dist. : Métropole Films.
Horaires
@ Cineplex
Classement
Tout public
(Déconseillé aux jeunes enfants)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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