4 mai 2017
Faisant suite à notre approche interventionniste, qu’il s’agisse de cinéma grand public ou de productions engagées, nous avons décidé de rencontrer Santiago Bertolino qui, suivant les traces de son père, Daniel Bertolino, se lance dans le documentaire. Il a décidé de suivre le journaliste pigiste Jesse Rosenfeld dans son périple semé d’embûches au Moyent-Orient. Nous vous présentons les grandes lignes de cette rencontre.
Vous entamez votre premier long métrage solo en abordant des thèmes reliés au Moyen-Orient. Pourquoi cet endroit du monde ?
Justement, parce qu’en parlant avec des amis, je trouvais que, par exemple, les enjeux sur la question israélo-palestinienne ne sont pas très bien compris. Ce sont toujours les mêmes clichés qui sont rapportés par l’establishment médiatique. Et dans un sens, le public, politiquement parlant, commence à se désintéresser de cet endroit du monde comme s’il s’agissait du même sempiternel conflit qui ne semble pas vouloir se résoudre. De plus, les agences de presse ne montrent surtout que quelques séquences chocs des conflits, mais donnent rarement la parole aux victimes.
C’est d’autant plus vrai que les médias, selon leur agenda idéologique, ne montrent que ce « qu’ils veulent montrer ».
Effectivement, d’où une information le plus souvent subjective, qu’importe nos idées sur tel ou tel question.
Mais ce n’est pas la première fois que des cinéastes abordent ce thème. Tenons-nous au problème Israël-Palestine. Amos Gitaï l’a longtemps fait à sa façon. Avi Mograbi aussi. À tel point qu’ils sont devenus des brebis galeuses dans leur pays.
Bien entendu. Mais mon modèle de film engagé est du côté de Gillo Pontecorvo et, bien entendu, son film-culte, La bataille d’Alger, où il est difficile de voir la différence entre la fiction et le documentaire. Les acteurs ne sont même pas des professionnels. Et c’est aussi un question d’élaboration du tournage. Ce film restera toujours moderne par sa démarche, sa composition du cadre, sa proposition politique. Mais j’ai aussi découvert le Moyen-Orient à travers le regard de militants Canadiens qui ont décidé de se pencher sur la question afin d’essayer de trouver une certaine vérité. Ce sont aussi des syndicats, des ONG alternatives qui m’ont inspiré. En quelque sorte, témoigner directement sur le terrain selon un regard interventionniste.
Le journaliste Jesse Rosenfeld est Juif. C’est clair, mais le mot « Juif » n’est jamais prononcé dans le film. Est-ce un choix éditorial ou peut-être par peur qu’il soit arrêté lorsque vous vous trouvez dans des territoires ennemis d’Israël, même si au fond, Rosenfeld est Américain. Dans le même temps, votre proposition de « mettre en scène » un journaliste de confession juive est d’autant plus engagée qu’elle remet en cause sa propre identité.
En fait, pour Rosenfeld, la caractéristique laïque de ses racines lui permettent de jeter un regard sur les questions sociales et politiques selon des critères éthiques et moraux débarrassés de toutes appartenances qui auraient pu déformer l’image qu’on se fait d’une situation ou d’un conflit. Et ses propres parents, notamment son père, sont d’allégeance marxiste, du moins selon l’idée qu’on peut se faire aujourd’hui de cette doctrine politique.
Mais je remarque aussi que Freelancer on the Front Lines n’offre pas de solution, ne propose pas de perspectives. C’est sans doute le lot des films d’aujourd’hui qui définissent le monde comme un terrain miné de zones grises.
Oui, c’est bien ça. Il est impossible pour un réalisateur de changer les choses simplement en témoignant.
Sur un autre ordre vous quittez le territoire israélo-palestinien pour vous diriger dans d’autres zones belliqueuses du Moyen-Orient, comme en Irak.
En fait, la Cisjordanie était le point d’attache de Rosenfeld, son principal champ d’intérêt ; mais lorsque j’ai commencé à le suivre, il pensait qu’il avait déjà presque tout écrit sur le sujet. Nous avons donc décidé de couvrir d’autres territoires dangereux, comme celui de l’État islamique. Au même temps, le début du tournage coïncidait avec l’implosion du Moyen-Orient, une des conséquences du Printemps arabe ? Rosenfeld a donc décidé d’aller en Égypte pour montrer la fin d’un rêve et le retour de ce que le célèbre printemps avait réussi à enrayer momentanément.
Mais dans des pays où la religion domine les grandes sphères de la vie sociale, est-ce vraiment possible d’intégrer des critères démocratiques ?
Vous avez sans doute raison ; cependant ceux qui ont produit le Printemps arabe sont surtout des jeunes qui tenaient des discours démocratiques occidentaux, qui veulent changer les choses. Donc, il était évident que des courts-circuits idéologiques aient lieu. La preuve, la prise au pouvoir, par la suite, des Frères Musulmans.
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