23 mai 2017
Comme enseignant, il a donné des cours au Gégep de la Gaspésie et des Îles (Campus de Gaspé). Son nom : Frédéric Julien. Professionnellement, au cinéma, il a coscénarisé Sur les traces d’Arthur, le documentaire de Saël Lacroix. En solo, il sort Les 3 Magaly, son premier documentaire de moyen métrage, présenté à la Cinémathèque québécoise. Séquences l’a rencontré, question qu’il nous parle un peu de son parcours.
Votre proposition est d’autant plus intéressante qu’elle se penche sur l’Amérique latine, un continent que l’intellectuel Québécois, quel que soit sa discipline artistique, connaît et respecte énormément ; comme, en parallèle, on s’intéresse de plus en plus, et à juste titre, aux Autochtones du Canada et du Québec.
Oui, en effet, et ça vient de loin ; j’ai vécu pendant quatre ans de ma vie en Amérique Latine, et à l’âge de 17-18 ans, j’ai étudié l’espagnol. J’ai toujours été attiré par ces territoires faussement vierges de l’Amérique latine où des civilisations autochtones ont formé des communautés et y vivent encore.©
Donc, le conquérant blanc est mis de côté.
Absolument. J’ai voulu filmé le quotidien des Premiers peuples de ces parties du monde et j’ai alors profité de la collaboration entre Wakiponi Mobile et Oxfam-Québec en Amérique latine pour m’immerger dans cette aventure. En fait, Les 3 Magaly est le résultat, entre autres, de plusieurs courts métrages, dont Magaly, que nous avions tourné en Bolivie.
Vous vous attachez à une femme plutôt qu’à un homme. D’ailleurs, dans le film, les hommes sont plutôt périphériques, comme faisant partie du décor. Cela comprend le mari de Magaly, la narratrice, et personnage principal.
En fait, à travers la femme, il y a une sorte de résilience, d’acceptation, de sentiment nourricier, de filiation, et cela donne un portrait plus juste de la société.
Effectivement, comme si les femmes, à travers leur pouvoir de maternité, retenaient la vérité du monde et de la vie. Une métaphone d’autant plus poétique que vous la filmer avec un respect subliminal et une audace intransigeante.
Oui, car je parle aussi de violence (celle subie par la principale Magaly dans son enfance), mais une agitation émanant d’une femme et non pas d’un homme. J’ai voulu également montré que la femme est souvent traditionnelle et conservatrice et qu’à travers ces vieilles habitudes d’un temps révolu, on peut atteindre des tragédies, que note principle Magaly va sans doute briser.
Par le biais de l’éducation et de son propre apprentissage de la vie et de la connaissance, Magaly évite justement cet héritage de violence en donnant à sa fillle un meilleur avenir qui se concrétise de façon poétique à la fin.
Oui, c’est d’autant plus lyrique et aérien que c’est la vraie histoire de Magaly, telle qu’elle me l’a racontée. Car en Amériqe latine, notamment dans ces régions, le mythe et la réalité se mêlent de façon étrange, nous donnant l’impression qu’il s’agit d’histoires inventées. Et ce n’est pas le cas. En fait, Magaly est journaliste pour une radio communautaire et avec ses connaissances, elle a largement collaboré à l’amélioration sociale de son peuple. Cela se passe dans une mission Jésuite. Mais le plus important pour ce peuple, c’est de parler de leurs cultures ancestrales, de leurs anciennes traditions qui, dans un sens, ils ont réussi à infiltrer dans une dynamique chrétienne.
Malgré une adolescence promise à l’esclavage, vous proposez une sorte de rédemption qui se transmet sensiblement dans une séquence importante du film, vers la fin, d’une forte émotion, et que vous filmez frontalement, sans mouvement d’appareil, sauf pour quelques gros plans moyens des visages.
La troisième femme, plus vieille, non seulement se rend compte de ses mauvaises actions envers Magaly, mais remet en cause sa propre condition de femme, grâce aux efforts de Magaly, la narratrice. Par ses gestes rédempteurs, elle entre en quelque sorte dans la modernité. C’est une histoire de maltraitance, de drames, mais aussi de guérison,de reconnaissance, de rachat et qui se réalise grâce à la richesse de l’esprit. Dans un sens, Magaly confronte pour ainsi dire sa mère adoptive à travers le film.
Comme une sorte de mise en abyme de la vie.
Justement. Car à travers le cinéma, on peut se permettre, sans parler, de parler de sujets tabous essentiellement par les images. Tout est là.
D’où cette citation bazanienne présente dans le générique du Mépris de Godard, : « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs… »
Effectivement, mais qui s’accorde aussi à la vérité, au temps qui passe, et ce désir ne serait après tout que la vie elle-même.
En même temps, les 3 Magaly, par le destin particulier des deux femmes et de celle en devenir, c’est aussi la réapproppriatation d’un territoire national autochtone, celui de la pré-conquête ibérique.
En effet, les peuples Premiers, comme c’est le cas de plus en plus au Québec et au Canada, expriment leurs douleurs, leurs revendications, et surtout misent sur leur avenir. Les temps changent. Comme quoi, la transmission par l’oralité peut avoir un sens.
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