6 juillet 2017
C’est sans doute le film le plus sincère du célèbre documentariste Errol Morris, plus habitué à déconstruire les codes régis d’un genre en perpétuelle reconstruction dans des œuvres aussi remarquables et connues que Thin Blue Line (1988) et A Brief History of Time (1991). Ici, par respect pour le sujet filmé, il se distancie de la caméra, filme Elsa Dorfman, l’octogénaire photographe, toujours sensible, lucide, se souvenant de détails d’une vie photographique avec un sens de la précision remarquable, racontant l’histoire d’un art perdu, d’un format (le polaroid), filmé grâce à des documents d’archives bien choisis comme s’il s’agissait d’un ami décédé, d’une présence du quotidien qui nous manque.
Mais le film de Morris n’est pas seulement la disparition d’un procédé, mais aussi la fin d’une certaine forme d’art et un questionnnement sur son propre métier de cinéaste. Filmer Elsa dans l’intimité de son laboratoire, c’est la capter de profil, parfois en plongée, comme si stature artistique voulait encore dire quelque chose. Il ne reste plus rien à filmer semble dire le cinéaste.
Elsa n’a jamais travaillé pour la reconnaissance (terme tabou en ce qui concerne tout acte créatif quelle que soit la discipline qu’on pratique), car elle a choisi d’entreprendre, dans le tard, à 28 ans, un chemin individuel où la démocratie ne tient qu’aux sujets pris par l’objectif de la caméra. Photos de famille, notamment de parents et de proches, dont celles d’Allen Ginzberg demeurent les plus attachantes, particulièrement lorsqu’on apprend que le poète Juif et homosexuel ne savait presque rien de la photographie et que sa présence unique dans le cadre correspondait à une entente entre lui et le monde.
Entre l’artiste et certains sujets pris, une correspondance qui passe par la complicité parfois non partagée, d’où ce B-Side, sorte de pile et face affublé au titre du film, la deuxième épreuve d’une photo, celle apprécié par la photographe, et non pas par le ou les protogonistes dans le cadre. Ces photos B sont celles qui montrent des erreurs, des changements dans le noir et blanc, des flous qui épatent et font toute la différence, contrairement à la superficialité magique et immaculée des épreuves A, celles choisies par les clients.
Travail unique d’une good Jewish girl qui n’a pas suivi le chemin tracé par ses parents, vivant en bohème parmi l’intelligentsia artistique américaine, c’est-à-dire sans le sou et qui se démerdait comme elle pouvait. Elle s’est pourtant marié et a eu un enfant qui vivent encore… en bohème plus ou moins. Oui, The B-Side: Elsa Dorfman’s Portrait Photography est un document essentiel non seulement pour son thème, mais aussi pour l’illustration d’une reconnaissance trop tardive à l’égard de la principale intéressé.
Lorsque Morris demande à la (aujourd’hui) vieille dame juive (in)digne qu’adviendra de tous ces clichés, elle répond d’un ton tout à fait dénué de pathos quelque chose comme « I absolutely have no idea », comme si notre passage sur terre, quelle que soit nos actions et notre héritage, se perdait parmi l’indifférence et l’abandon de l’humanité. Après la mort… le néant semble dire un Errol Morris réaliste, cartésien, hellénique. Une façon de signifier que les images restent, sans doute momentanément, mais que le souvenir s’évapore comme si rien ne s’était passé lors de notre passage sur Terre. Par sa simplicité, sa candeur, sa résignation et ultimement, son côté philosophique, The B-Side demeure une expérience aussi unique que bouleversante.
Genre : Documentaire – Origine : États-Unis – Année : 2016 – Durée : 1 h 16 – Réal. : Errol Morris – Dist. : Métropole Films.
Horaires
@ Cinéma du Parc
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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