28 octobre 2010
«Ce que je cherche c’est de transmettre l’émotion par l’image (…) Mais j’espère aussi que la forme ne prenne jamais dessus sur le contenu … »
Révélé grâce au succès de Minuit le soir en 2005, Podz (Daniel Grou de son vrai nom) ne cesse de tourner depuis. Les Bougon, Au nom de la loi, C.A., Les 7 jours du Talion et maintenant 10 ½…s on œuvre parle d’elle-même. Œuvre marquée à grands traits par la solitude, un quotidien désenchanté, et par laquelle s’érige une esthétique éminemment personnelle (filmage musclé, très direct, image aux couleurs délavées, propension au silence et aux non-dits…). À l’occasion de la sortie de son deuxième film en moins d’un an, le percutant 10 ½, nous nous sommes entretenus avec lui. Il s’en est suivi un entretien très passionnant dans lequel il nous parle de sa démarche, de sa relation avec ses acteurs et aussi de sa place dans le paysage cinéma québécois…Entretien dont nous vous présentons ici une première partie – l’autre étant publiée dans le prochain Séquences.
Propos recueillis par Sami Gnaba
Claude Lalonde, le scénariste de 10 ½, est allé puiser dans sa propre expérience d’ancien éducateur pour écrire le film. Je me demandais, en tant que cinéaste quelles sortes de recherches as-tu fait?
J’ai beaucoup discuté avec lui, évidemment. Sinon, je suis allé passer une journée dans un centre avec les enfants, pour leur parler, pour observer et voir comment ça se déroulait. Comment les éducateurs interagissaient avec eux. Tu te mets dans un coin, tu les regardes aller et tu catch la dynamique. Je pogne les choses assez vite. Sinon, on avait un éducateur sur le tournage, avec qui on pouvait échanger, à qui on pouvait demander conseil pour telle ou telle situation.
Comment le jeune Robert Naylor est arrivé dans le projet?
On a fait une session d’auditions, durant lesquelles on a rencontré au moins 25 enfants. Tous des comédiens! Tous les enfants qu’on voit dans le film, ils ont été choisis là-dedans. Ça a pris une semaine. Les auditions se passaient avec Claude, pour les call-back. J’avais vu de quoi d’intéressant qui se passait entre lui et Robert. J’ai demandé alors à Claude d’improviser, de le pousser. Robert n’a jamais décroché de son personnage, il a continué. Il a suivi Claude tout le long. C’était une grosse scène, celle où il décrisse sa chambre. Il continuait, il était vraiment dedans. À partir de là, c’était clair que ça allait être lui.
Il a une puissance de jeu tout simplement incroyable.
Robert? Il est hallucinant. C’est un petit génie, un comédien né! Tu dis cut et il redevient le kid de tous les jours. Il décroche instantanément. Il va jouer au basket ou au Hockey avec Claude, à l’heure du lunch…Il va aller loin.
Le problème au Québec, autant en télé qu’en cinéma, c’est qu’on ne donne pas à des jeunes acteurs des personnages riches, qui valent la peine d’être défendus. Ils se retrouvent souvent avec des personnages trop stéréotypés…
Ouais, c’est vrai. Je pense que c’est un problème qui se pose aussi chez les actrices. Il n’y a pas non plus de rôles de femmes super intéressants.
Est-ce que tu penses un jour te lancer dans un projet dont les personnages principaux seraient des femmes?
Oui. Je suis très tenté. J’aimerais beaucoup mettre en scène une histoire de femmes. C’est juste qu’à date on m’a juste proposé des projets avec des gars…le bon projet n’est pas encore arrivé. Il va falloir que je l’écrive (rires).
Tu es en train d’écrire?
Oui. Il y a plusieurs projets sur lesquels je suis en train de travailler. Je travaille actuellement avec Patrick Sénécal sur l’adaptation du Vide…Il y a aussi un film que je suis en train d’écrire, en collaboration avec Nadine Bismuth. C’est un drame ancré dans les années cinquante et qui raconte le «coming of age» d’une fille.
Tes deux films sont assez froids, mais 10 ½ possède une humanité plus affirmée.
Ouais, Talion, c’est quasiment misanthrope. Dans celui-là il y a une froideur, un genre de distance aussi. Je ne sais pas si c’est dû à un effort de ne pas juger, ou de ne pas sombrer dans le sentimentalisme…Je ne sais pas si c’est par pudeur.
Tu m’avais dit ça aussi à notre rencontre précédente. Je t’ai toujours considéré comme un formaliste. J’ai toujours cru que ta volonté « de faire dans la forme» te poussait à mettre la mise en scène en avant. Qu’elle exigeait de toi cette distance entre ta caméra et tes personnages.
Ah oui? C’est drôle parce que je ne découpe jamais à l’avance. J’arrive sur le plateau, je regarde les comédiens et je place ensuite le kodak. Je vais jamais dire « voici ma shot, rentrez dedans..».
On détecte dans ce que tu fais une approche très visuelle du matériel scénaristique. Tu ne te contentes pas de filmer des usuels champs-contrechamps, ou d’autres formes rudimentaires de filmage. Il y a chez toi une sorte de formalisme modéré.
Ce que je cherche c’est de transmettre l’émotion par l’image. Je cherche beaucoup ça, mais avec moins de dialogues possibles. Mais j’espère aussi que la forme ne prenne jamais dessus sur le contenu. Je dis souvent que les comédiens véhiculent leurs émotions à travers le texte, tandis que moi je m’exprime par le kodak. Ce que j’ai à exprimer, je l’exprime à travers ma caméra. Ça correspond à mon point de vue, à ma compréhension de la scène.
Il se dégage de ton œuvre, qu’elle soit télévisuelle ou cinématographique, une unité de ton, mais aussi une unité thématique, qui est assez évidente. Et franchement rare! La présence de Claude Legault est selon moi non négligeable non plus. Elle tisse encore plus explicitement les liens entre tes différents projets.
C’est vrai. Il est un peu confronté aux mêmes thématiques, mais il ne réagit pas de la même façon. Ça aurait été redondant. C’est le fun de voir les différentes réactions que quelqu’un peut avoir, sous les mêmes pressions existentielles. C’est ça qui est inspirant avec Claude. On peut explorer plusieurs facettes de son jeu. Il est assez versatile. Les personnages de Claude pourraient, disons, appartenir à la même famille…Moi et lui, on cherche constamment des tics physiques, des façons différentes de réagir, de projet en projet, pour que les personnages ne se ressemblent pas. Tu sais, il y a quelque temps quelqu’un m’a dit que tous mes personnages dans Minuit le soir parlaient comme moi. Qu’ils avaient tous mes réactions. J’étais assez surpris.
Claude Legault te sert d’alter ego en quelque sorte?
Oui, mais cette ressemblance va aussi pour pas mal d’autres personnages. Tommy, par exemple, dans 10 ½, c’est moi. C’est clair.
Comment travailles-tu avec tes comédiens?
Ça dépend. De la scène, mais aussi de ce que le comédien va amener. Des fois, il faut que tu les aides à voir la scène d’une certaine façon, que tu leur donnes des clés pour qu’ils puissent libérer quelque chose en eux. Ça dépend vraiment des situations. Pour moi, tout commence par le placement des acteurs dans l’espace, ensuite je place mon kodak.
Est-ce qu’il y a des choses que tu regrettes dans les 7 Jours du talion?
Non…je repense au film, dans le sens où présentement je suis en train de tourner quelque chose. Et il y a des plans là-dedans que je ne peux pas faire, parce qu’ils me rappellent trop ceux de 7 jours du talion. Sinon, je suis fier de mon travail. J’ai exploré de nouvelles découvertes formelles là-dedans dont je suis assez fier.
Tu te places où dans le paysage cinématographique québécois?
Je ne sais pas. J’ai hâte de voir Incendies. J’ai hâte de voir À l’origine d’un cri. On dirait qu’avec ces films coup de poing, il y a quelque chose qui est en train de se passer…Mais je ne sais pas si je fais partie d’un mouvement. Je pense que je suis un peu un outsider face à tout ça. Toi, tu me places où?
Je te mets à part. De la même manière que je mets Denis Côté à part. Vous êtes dans un groupe assez restreint de cinéastes qui maintiennent une vraie cohésion dans leur démarche artistique. Il y a aussi le cas de Robin Aubert qui commence beaucoup à m’intriguer.
Je sens chez certains cinéastes une vraie volonté de dire de quoi. Il y a selon moi un camp qui veut dire des choses sur le cinéma, je mettrais là-dedans Denis Côté, Rafael Ouellet, Maxime Giroux. Puis tu as un autre camp, celui qui converge vers un cinéma plus populaire. Je mettrais là-dedans Erik Canuel, Jean-Marc Vallée. Et tu en as d’autres qui essaient de mêler les deux comme Dolan…Moi, je ne sais pas. Je réponds instinctivement à des histoires. C’est peut-être ça, finalement, qui me met à part. Je suis guidé par les personnages, par leurs actions. Je regarde l’histoire et c’est le petit gars qui m’intéresse. Je veux voir ce que Tommy va faire dans telle ou telle situation. Je ne suis pas en train de parler de cinéma, de société ou de politique. Je suis juste en train de parler de ce personnage et de ce qu’il est en train de vivre. C’est ce qui me branche le plus.
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